Page:Lévy-Bruhl - Revue philosophique de la France et de l’étranger, 101.djvu/400

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rions de nos mains : se forger, bâtir (des châteaux en Espagne), se figurer, feindre (fingere). La perception des rapports, la comparaison trouvent une expression dans les conditions matérielles propres à les favoriser : mettre auprès, à côté, en regard, rapprocher, comparer (cum-parare). Des moyens plus savants peuvent remplir le même office : balancer a signifié comparer; penser vient de peser (pensare); calculer rappelle les cailloux (calculus) avec lesquels on a d’abord compté.

On notera que. dans tous ces exemples l’acte ou l’effet intellectuel lui-même n’est pas expressément désigné, mais seulement la situation matérielle qui en est l’objet, l’occasion, le moyen. Le même procédé permet de nommer, par allusion aux situations typiques qui les sollicitent, l’attention, le désir, les émotions, les inclinations.

Faire briller, miroiter ; piquer, mettre la puce à l’oreille, attacher le grelot rappellent des situations où l’attention est éveillée, l’activité mentale stimulée et orientée. L’inclination, la tendance, la passion peuvent être présentées comme des effets d’actions physiques subies : donner un coup de fouet, aiguillonner, éperonner, aguicher (instinct a la même origine, visible dans le latin), presser, pousser, entraîner, emporter (impulsion, emportement). Le plaisir s’exprimera par : être chatouillé, bercé, - boire du lait, faire ses choux gras, - un lit de roses, du baume dans le cœur ; l’étonnement, la désillusion par : être bouleversé, renversé, démonté, foudroyé, étonné (même origine), ébouriffé, défrisé, avoir la tête à l’envers ; des variétés d’émotions brusques par être remué, atteint, touché, blessé, empoigné, ébranlé, recevoir un coup, un choc, une secousse, un coup de foudre ; l’inquiétude par être sur des épines, sur des charbons ardents, dans ses petits souliers. Être le bec dans l’eau, dans le pétrin, c’est être embarrassé (route barrée). L’homme triste est abattu, atterré, accablé, affligé, il a la mort dans l’âme. L’optimiste voit tout en rose ; le pessimiste, en noir ; un point noir est un sujet d’inquiétude, la bête noire, l’objet odieux. Toute la vie affective envisagée comme phénomène de réceptivité passive trouve à s’exprimer par cette méthode.

Qu’il s’agisse de faits intellectuels ou affectifs, c’est la situation objective ou son action qui apparaît dans les exemples précédents. Dans ceux qui vont suivre, il s’agit de faits physiologiques qui interviennent comme condition plus directe du fait mental.

Nous retrouverons d’abord des expressions de la connaissance et