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rhétorique, la géométrie, la musique, à quoi on peut ajouter la poésie st la médecine, c’est-à-dire tout ce qui ne contient aucune vue sur la divinité, ni sur la manière d’être du monde, ni sur aucune réalité élevée, ni sur l’institution d’une vie bonne et heureuse ». Puis vient « la sagesse des princes de ce monde », c’est-à-dire la philosophie occulte des Égyptiens, l’astrologie chaldéenne, « mais surtout l’opinion si variée et multiple des Grecs sur la divinité ». Enfin, la sagesse du Christ, qui vient de la révélation[1].

Il faut ajouter que, dans la première espèce de sagesse, la sagesse de ce monde, pouvaient sans doute entrer des parties plus ou moins considérables de la philosophie, à savoir la logique et la dialectique, certaines généralités de la physique et de l’astronomie, enfin toute l’éducation formelle de l’honnête homme, telle que l’avait conçue un Musonius par exemple, catéchisme moral tout à fait général. Il est intéressant, à cet égard, d’entendre l’opinion d’un platonicien, contemporain, de Proclus, Hermias, qui distingue la « philosophie humaine » de cette initiation spéciale que le platonisme réservait à ses adeptes. Ce n’est pas, dit-il, parler exactement d’appeler philosophie la mathématique, la physique et l’éthique ; c’est un abus de mot ; à cette philosophie humaine, il oppose l’enthousiasme de l’initié, qui contient en lui « la théologie, la philosophie entière et la folie amoureuse[2]. »

Cette partie commune de l’éducation, le christianisme ne la rejette pas du tout en principe ; sans doute les chrétiens sont très divisés sur sa valeur spirituelle ; il y a parmi eux des personnages cultivés, comme saint Augustin, comme saint Grégoire de Naziance qui s’en font les très ardents défenseurs, tandis que d’autres, tels des latins comme Tertullien ou saint Hilaire, sont partisans de la voie courte et ne sentent nullement la nécessité de cette éducation ou même la critiquent formellement. Mais la divergence de vue à ce sujet n’est pas plus grande chez les chrétiens qu’elle ne l’a été chez les païens après Aristote ; dès qu’a paru la sagesse cynique ou stoïcienne, les sciences philosophiques, qui étaient pour Platon la seule voie d’accès vers la connaissance des réalités véritables, deviennent soit de simples auxiliaires ou servantes de la sagesse, incapables de comprendre par elles-mêmes leurs propres principes, soit même

  1. Des Principes, d’après la traduction latine de Rufin, livre III chap. iii.
  2. Hermias, Commentaire du Phèdre, éd. Couvreur, p.92,6.