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Nicée (325), en affirmant l’égalité absolue des personnes de la Trinité dans cette fameuse formule : le Fils est consubstantiel au Père, mettait fin à toute tentative de trouver une pareille hiérarchie à l’intérieur de la réalité divine et excluait d’elle toutes les créations spirituelles[1] ; nous indiquerons bientôt dans quelles conditions a pu se reformer pourtant un néoplatonisme chrétien.

Saint Augustin (354-430) est un de ceux qui ont le plus contribué à répandre l’estime du nom de Platon parmi les chrétiens ; la lecture des œuvres de Plotin dans la traduction latine de Marius Victor a coïncidé à peu près avec sa conversion définitive au christianisme (387), et la parenté de la spiritualité chrétienne avec celle des platoniciens l’a toujours frappé ; seuls, pense-t-il, ils sont des théologiens tandis que les autres philosophes ont usé leur intelligence à rechercher les causes des choses, ils ont, eux, connu Dieu, et ont trouvé en lui la cause de l’univers, la lumière de la vérité, la source de la félicité[2]. Ce qui leur manque ce n’est donc pas l’idée du but qu’il faut attendre, mais celle de la voie par laquelle on y arrive, le Christ. On connaît les paroles des Confessions à propos de sa lecture des néoplatoniciens : « J’y ai lu, non pas en ces termes à la vérité, que dans le principe était le Verbe, et que le Verbe était auprès de Dieu et que le Verbe était Dieu, que le Verbe n’est issu ni de la chair ni du sang ni de la volonté d’un homme, ni de la volonté de la chair, mais de Dieu ; mais je n’y ai pas lu que le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous… qu’il s’est lui-même abaissé en prenant la forme d’un esclave, et qu’il s’est humilié en se rendant obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur la croix[3]. »

Cette opposition du médiateur platonicien et du Christ revient souvent dans la pensée de saint Augustin. Le Christ est médiateur non pas parce qu’il est le Verbe ; le Verbe, immortel et suprêmement heureux est bien loin des malheureux mortels ; il est médiateur parce qu’il est homme ; il n’est pas, comme chez les philosophes, un principe d’explication physique ; il est celui qui délivre l’homme en se faisant homme lui-même ; cette incarnation est un événement dont le caractère passager fait contraste avec l’ordre éternel qui fixe éternellement la place de l’intermédiaire entre Dieu et l’homme.

  1. Harnack, Dogmengeschichte, vol II, p. 230.
  2. La Cité de Dieu, VIII, 10.
  3. Confessions, X, 29.