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Page:Lévy-Bruhl - Revue philosophique de la France et de l’étranger, 112.djvu/409

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Note sur la langue
et la terminologie hégéliennes


Il n’y a pas de philosophe, du moins en ce qui concerne les philosophes modernes, dont la pensée ait été interprétée de façons aussi diverses et aussi divergentes que celle de Hegel[1]. Et les commentateurs de ses doctrines même s’ils ne sont d’accord sur rien d’autre, — s’accordent cependant a) sur la difficulté intrinsèque extrême de sa pensée et b) sur la difficulté supplémentaire, extrinsèque, mais presque plus grande encore, que présente ou qu’oppose – à sa compréhension la langue et la terminologie de Hegel. La langue de Hegel est on l’a dit maintes et maintes fois intraduisible. « Sa terminologie, ainsi que l’écrit L. Herr, lui appartient en propre… elle ne contient peut-être pas un seul terme technique qui ait son équivalent dans la langue abstraite de la philosophie française[2]. » Mais elle n’est pas seulement intraduisible. Elle est on l’a dit également fort souvent inintelligible, même pour un Allemand. Et les historiens allemands se plaignent de « l’abus d’une terminologie arbitrairement créée » (selbstgeschaffene Terminologie[3]). C’est à propos de Hegel qu’on a, d’ailleurs, forgé cette définition célèbre de la philosophie « abus d’une terminologie créée spécialement à cet effet » (Misbrauch eigens dazu erschaffener Terminologie). De telle façon que le plus récent historien de Hegel, M. Th. Haering, en proclamant que « c’était un secret de polichinelle qu’aucun des interprètes de Hegel n’était capable d’expliquer, mot par mot, une seule page de ses écrits » et que « la lecture des œuvres consacrées à exposer la philosophie de Hegel

  1. On sait qu’on a tiré du Hégélianisme la réaction aussi bien que la révolution, le panthéisme aussi bien que le théisme et que l’école hégélienne s’est divisée bien rapidement en « gauche » et en « droite ». Voir sur ce sujet le livre récent de M. Moog, Hegel und seine Schule, München, 1930.
  2. L. Herr, article « Hegel » de la Grande Encyclopédie, t. XVI, p. 1001.
  3. M. Moog la lui reproche encore, voir Moog, op. cit., p. 14.