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La justice platonicienne

La philosophie de Platon est marquée par un dualisme radical. Le monde platonicien n’est pas un sous quelque aspect qu’il se manifeste, il présente une scission profonde qui reparaît toujours sous les formes les plus diverses. Platon ne voit pas un monde, il en voit deux d’une part il croit contempler avec les yeux de l’âme le domaine transcendant des idées situé hors de l’espace et du temps, la chose en soi, la réalité véritable, absolue, de l’être immobile et d’autre part il oppose à ce domaine transcendant celui des choses purement phénoménales, situées dans l’espace et le temps qu’il voit avec les yeux du corps; c’est pour lui le domaine des apparences trompeuses, du devenir en mouvement en réalité un non-être. Tandis que l’un de ces mondes est l’objet objet unique de la véritable connaissance rationnelle, de la pensée pure et du savoir véritable, de l’ « épistèmè », l’autre n’est que l’objet extrêmement discutable de la perception sensible, de la croyance, de la « doxa ». La même antithèse se présente dans la doctrine platonicienne du « peras » et de l’ « apeiron ». D’un côté, dans la sphère du déterminé, de la forme, règne le principe de la liberté, soumise à la loi de finalité ou de normativité. De l’autre, dans la sphère de l’indéterminé, de la matière, règne la contrainte, le rapport de cause à effet, la loi de causalité. Ce serait pour un moderne l’antithèse entre esprit et nature, valeur et réalité. C’est l’opposition entre « technè » et « empeiria », entre « noesis » et « aisthesis », entre l’activité créatrice et la réceptivité passive, entre « poiesis » et « mimesis », entre unité et multiplicité, entre totalité et somme et sous sa forme la plus générale l’antithèse entre le « même » et l’ « autre ». Du point de vue de l’homme c’est l’opposition essentielle pour la doctrine platonicienne entre l’âme immortelle, qui tend vers le divin et la raison et le corps mortel, prisonnier des sens. Enfin c’est l’opposition qui est