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consister en ceci une pensée qui ne veut connaître que la raison, son effort ordonnateur et créateur, qui nie systématiquement l’originalité de la vie, l’existence de toute force qui ne serait pas absolument soumise à un déterminisme strict, qui ne voit dans l’intuition, en mettant les choses au mieux, qu’un procédé d’artiste se désintéressant de la vérité, une pensée ce ce genre peut aboutir, par une série de déductions rigoureuses, à la découverte du corps comme condition nécessaire de son exercice, d’un corps doué de certaines propriétés où nous retrouverons des manifestations essentielles de la vie de cette vie qu’on prétendait éliminer elle a aussi le grand mérite de poser ce problème de la personne, que la philosophie contemporaine a trop souvent, à notre humble avis, traité par prétérition.

Le mystère du corps consiste en ce qu’il est, comme dit M. Blanché, une image privilégiée. « Cette perpétuelle présence, qui fait que mon corps m’apparaît inévitablement, même quand je cherche à me convaincre que cette apparence est illusoire, comme le centre de l’univers ce caractère de « première personne » que je ne peux lui retirer malgré tous mes efforts pour le considérer comme un objet impersonnel cette docilité que lui seul présente à l’égard de ma volonté, et sur laquelle l’affirmation de l’universel déterminisme ne réussit pas à mordre cette tyrannie par laquelle il me contraint, encore que je veuille le traiter comme une indifférente « guenille », de l’aimer avec prédilection, et les souffrances que j’endure dès qu’il pâtit voilà qui m’oblige à faire de mon corps, et du mien seulement, un être privilégié, absolument différent de n’importe quel objet physique~. )) Il est un être privilégié, mais il n’est pas exact de dire qu’il est un objet privilégié, pour ces deux bonnes raisons de droit et de fait que l’idée d’objet privilégié est contradictoire et que le corps, considéré comme objet physique, n’a rien qui le distingue des autres objets, si ce n’est une remarquable complexité de structure rendant les progrès de son étude scientifique particulièrement difficiles. Le corps est à la fois un objet et autre chose qu’un objet, un être privilégié échappant à l’impersonnalité des objets qui composent l’univers. <( Mon corps, en tant qu’être vivant, n’a rien de privilégié, et n’est pas plus mien que n’importe quel autre 1. P. 56.