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ne serait-il pas ; mais cette existence est comme une condition préalable, comme une cause occasionnelle, comme un « à propos de quoi » qui a précédé l’invention même par le démiurge de l’Idée de ce monde ; elle ne relève pas de cette Idée comme principe de réalisation.

Toutefois la situation de la χώρα est unique et exceptionnelle précisément parce que sa nature et son existence sont indéterminées, que nous ne l’apercevons que dans un songe et ne l’atteignons que par « une sorte de raisonnement bâtard »[1]. Quand une existence et une nature ont, au contraire, une structure ou une qualité définies, cette structure et cette qualité ne doivent être traitées que comme une structure posée, une structure dérivée, une qualité ou un groupe de qualités apportées, qui supposent ou impliquent une structure posante et originaire, une qualité apportante, fondement de leur réalité et de leur vérité. Cette puissance génératrice n’est autre que l’Idée, et ce qui caractérise le vrai philosophe, tel que Platon le conçoit, c’est une orientation vers elle, un effort pour la retrouver et pour en prendre possession à travers ses manifestations tandis que ce qui caractérise les sages qui ont disserté avant lui sur l’Etre, les techniciens des diverses sciences, y compris les mathématiciens, et, au-dessous d’eux, les philodoxes, les rhéteurs et les sophistes, c’est de se placer sur le plan de ces manifestations et de les regarder comme des absolus. A vrai dire, les manifestations ainsi retenues comme constituant la nature de l’Être diffèrent selon les esprits et les doctrines ; elles ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit en particulier des Éléates ou des Héraclitéens ; elles relèvent suivant les cas du devenir ou de l’immuable, du sensible ou de l’intelligible ; elles sont expérimentalement éprouvées ou logiquement conçues ; mais ce qui leur est commun, c’est qu’elles appartiennent toujours, quand on les examine et qu’on en fait l’épreuve, au domaine du réalisé et non à celui du réalisant, de telle sorte que le réel, ramené à leurs limites, se trouve ainsi dépourvu nécessairement de toute justification.

Prenons, par exemple, l’Être de Parménide. Voici ce que nous pourrions en dire en interprétant librement les observations du Sophiste. Il suffit de consulter le poème où cet Être est décrit et où

  1. Timée, 52 B.