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une voix qui chante, pourrait-il revivre une activité qui lui est totalement étrangère ?

Enfin et surtout, l’artiste, quel qu’il soit, a commencé par être un contemplateur et un jouisseur artistique. On a prétendu que, de même que l’acte précède la réflexion, de même la création artistique a précédé la contemplation. Mais il y a là une confusion de concepts. Il est bien vrai que la création précède la réuexion. Mais, nous l’allons montrer, contemplation et jouissance ne sont pas réflexion. La réflexion artistique est, sans nul doute, postérieure à la création. Mais la contemplation on verra ce que nous appelons ainsi et la jouissance, non pas. L’artiste le plus inculte, le plus primitif, le moins doué de réflexion le sauvage qui se tatoue et se scarifie, dont la première œuvre plastique est un signe tracé dans le sable ou inscrit sur un tronc d’arbre, qui saute et danse ses joies et ses douleurs et les chante, même celui-là a commencé par regarder autour de lui, par jouir de la vue d’un arbre, d’une femme, du murmure de la torêt ou des ahans de la mer montante. Puis, cette vision et cette émotion, il a tenté de les faire revivre pour lui et- pour les autres. C’est là toute l’activité de l’artiste. Donc, avant de créer, il a contemplé et joui. Et c’est donc bien de la contemplation et de la jouissance qu’il faut partir pour pénétrer dans le cœur de l’esthétique. Dans les pages qui vont suivre, c’est du seul contemplateur et jouisseur esthétique que nous nous occuperons.

La contemplation et la jouissance esthétiques.
I. — Les Impressions esthétiques.

Évoquez dans votre mémoire les moments où vous vous êtes senti, le plus sûrement et le plus pleinement, dans la sphère esthétique. Vous avez, dans un jardin, admiré une fleur, la disposition harmonieuse des feuilles autour de la tige, des sépales autour du calice, des pétales autour de la corolle, l’exquis coloris de ces chairs tendres où sont comme captées les irisations de la lumière. Vous avez, dans une forêt, noté avec délices l’élan des fûts, le jaillissement des rameaux et des ramilles, le fourmillement des feuilles, l’échevellement des fougères, l’enlacement des sentes tapissées de mousse. Vous avez, sur le ciel vespéral, suivi les îles