Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/29

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cord sur la religion. Or, chaque homme devrait se considérer comme absolument distinct de son voisin, comme unique de la tête aux pieds[1]. Tu n’as, en ta qualité d’être unique, rien de commun avec un autre, et tu n’as pas pour cette raison à te préoccuper si tes ressemblances avec autrui te confèrent des privilèges ou si on te refuse des droits à cause des différences entre les autres et toi. Il n’y a rien de commun entre les hommes que leur absolue inégalité ; et encore faut-il, pour reconnaître ce caractère commun de la disparité, admettre une comparaison.

Feuerbach avait, dans sa critique de la métaphysique de Hegel, opposé la sensation à la pensée, la réalité concrète à l’idée abstraite. Selon Stirner, ma sensation comme ma pensée est singulière. « Si je n’étais pas tel ou tel, Hegel par exemple, je ne regarderais pas le monde comme je le regarde ; je n’en tirerais pas le système hégélien[2]. » La relation de tout sujet à l’objet est particulière au sujet : la Bible, par exemple, est un jouet pour l’enfant, le livre sacré pour le croyant, un texte pour l’exégète, un coquillage sans valeur pour l’Inca qui la met à l’oreille et la jette parce qu’il n’entend rien. Chacun trouve dans les objets ce qu’il y cherche : le philosophe y trouve des idées. Il est donc vain de tenter une définition objective des choses. À plus forte raison est-il vain de vouloir définir l’« Unique ». L’Unique est indé-

  1. Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, pp. 241-243.
  2. Ibid, p. 398.