Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/31

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Stirner est arrivé à cette conséquence extrême en partant des idées de Feuerbach. Feuerbach avait entrepris, pour réagir contre la tendance qui pousse l’homme à se sacrifier à Dieu, de réintégrer dans l’humanité l’essence qu’elle avait projetée au ciel : les prédicats humains, l’amour et la raison, étaient toujours sacrés à ses yeux ; mais il les vénérait pour eux-mêmes, sans les attribuer à un sujet transcendant. Or c’est là, selon Stirner, s’arrêter à mi-chemin dans la voie de l’immanence : l’humanité est toujours extérieure et supérieure à moi : mes prédicats continuent à me dominer. Le fantôme divin a disparu du ciel ; mais le spectre de l’humanité m’obsède encore et me possède. Faisons donc un pas de plus : de même qu’il n’y a pas de Dieu en dehors de l’humanité, de même il n’y a pas d’Humanité en dehors de moi. Ne disons pas, comme l’auteur de l'Essence du Christianisme : Homo homini Deus ; ayons le courage de dire : Ego mihi Deus. C’est le seul moyen de mettre un terme à l’aliénation qui l’a trop longtemps appauvri et asservi. Le sujet qui pose l’objet en face de lui devient la victime et l’esclave de cet objet, qui n’est pourtant que son ombre : s’il veut être libre, il faut qu’il cesse de consentir à ce dédoublement de soi-même, qu’il reprenne en lui sa créature et se pose en maître unique, en créateur souverain. L’Unique de Stirner montre à quelle conséquence extrême aboutit le panthéisme de la philosophie hégélienne : on s’était efforcé d’abord de rattacher