Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/72

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ture. Les difficultés particulières au système de Hegel se retrouvent dans le système de Stirner, et elles sont aggravées parce que l’auteur de l’Unique a substitué à l’Esprit en progrès le Moi individuel qui s’use par son mouvement même. La logique de son système a obligé Stirner à enfermer l’histoire universelle dans le cadre d’une vie individuelle : « l’individu, dit-il, est pour lui-même une histoire universelle : le chrétien se préocupe de l’histoire universelle, parce qu’elle est à ses yeux l’histoire du Christ et de l’homme ; pour l’égoïste, son histoire seule a une valeur, parce qu’il ne tient qu’à son évolution à lui : il ne s’inquiète pas de l’idée d’humanité, du plan de Dieu, des intentions de la Providence, de la liberté ou autres choses analogues. Il n’est pas l’instrument d’une idée, il ne contribue pas au progrès de l’humanité, il se dépense en vivant (er lebt sich aus) sans se demander si l’humanité s’en porte bien ou mal. S’il ne craignait que, par un malentendu, on ne lui reproche de vanter l’état de nature, Stirner rappellerait les « trois tsiganes » de Lenau[1], qui passent à jouer, à fumer et à dormir la vie qu’ils méprisent trois fois. Nietzsche est bien loin de tomber dans ce pessimisme romantique : il ne cesse pas de se préoccuper dans sa deuxième période, des évolutions de l’humanité : il est immoraliste en ce sens qu’il critique les morales courantes et les tables de valeurs

  1. Stirner, Der Einsige, p. 428.