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l’autorité des écrivains français, qu’on a le droit de s’affranchir de la domination pédantesque et cacophonique de l’imparfait du subjonctif. Montesquieu n’a pas voulu dire pusse, qui est cependant bien usité. Il a dit : « Je n’aurais pas cru que vous puissiez. »

Disse est aussi fort usité, il n’en a pas moins blessé l’oreille délicate d’un écrivain, et Voltaire a fait le solécisme comme Montesquieu : « Voudriez-vous que je vous dise ? »

Les femmes n’ont pas l’oreille moins sensible que les hommes. Mme de Staël se gardera bien de dire participasse, elle dit : « Ce n’est pas assez de s’occuper des gens du peuple sous un point de vue d’utilité, il faudrait qu’ils participent aux jouissances de l’imagination. »

Georges Sand n’a même pas voulu dire parlasse : « Il ne m’aurait pas cru et m’aurait battu jusqu’à ce que je parle. »

La cour n’avait pas le goût moins superbe que les écrivains et les femmes. Louis XIV n’a jamais voulu dire ordonnasse : « Il a fallu que je lui ordonne de se retirer. »

L’imparfait du subjonctif a de graves inconvénients. Il a longtemps éloigné Louis XIV de Mme de Maintenon. Cette auguste matrone était toute hérissée d’imparfaits du subjonctif. Nous n’en rappellerons qu’un. Il est extrait d’un billet du matin adressé à l’abbé Gobelin, au sujet des jeunes filles de Saint-Cyr : Il y a un chapitre sur lequel je voudrais que vous les préchassiez. »

Si M. Blavet veut aller entendre les Rendez-vous bourgeois, il verra comme Hoffmann se moque des pourfendisse et des pulvérisasse.

Toutefois, on ne peut nier qu’en thèse générale M. Blavet n’ait raison. Il faut maintenir l’imparfait du subjonctif, mais seulement il ne faut pas en abuser, témoin les vers suivants qu’insère le Pays :


épître amoureuse d’un puriste, dédiée à m. blavet

 
Oui, dès l’instant que je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes.
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes.
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes,
Pour les vœux que je vous offris !
En vain je priai, je gémis,
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis.
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes,
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j’y mis.
Ah ! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse,
Qu’avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez !