Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/51

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la lui découvrit tout entière, touché par sa courtoisie et sa fière prestance qui, au premier aspect, lui parut être celle d’un chevalier très vaillant.

Et il commença : « Seigneur, je conduisais des piétons et des cavaliers, et j’allais au camp où le roi Charles attend Marsile pour s’opposer à sa descente des montagnes. Et j’avais avec moi une belle jeune fille, pour laquelle mon cœur brûle de fervent amour, lorsque je rencontrai près de Rodonne, un chevalier armé qui montait un grand destrier ailé.

« Aussitôt que ce voleur — qu’il soit un mortel, ou l’une des âmes abominables de l’enfer, — voit ma belle et chère dame, comme un faucon qui pour frapper descend, il fond et remonte en un clin d’œil, après l’avoir saisie tout éperdue en ses mains. Je ne m’étais pas encore aperçu de l’attaque, que j’entendis en l’air le cri de la dame.

« Ainsi le milan rapace a coutume de ravir le malheureux poussin à côté de sa mère, qui se plaint ensuite de son inadvertance et, derrière le ravisseur, en vain crie, en vain se courrouce. Je ne puis suivre un homme qui vole et qui va se réfugier au milieu des montagnes, au pied d’un rocher à pic. J’ai lassé mon destrier qui, à grand’peine, a porté partout ses pas dans les fatigants sentiers de ces âpres rochers ;

« Mais, comme j’aurais eu moins d’ennui de me voir arracher le cœur du fond de la poitrine, je laissai mes autres compagnons suivre leur chemin, sans plus leur servir de guide et sans aucune