Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/55

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qui était tout attentif à Gradasse. Roger sous le rude coup plie, et son destrier recule de plusieurs pas ; et quand il se retourne pour frapper son adversaire, il le voit loin de lui monter au ciel.

« Et il frappe tantôt Gradasse, tantôt Roger, au front, à la poitrine, au dos, et il rend les coups de ceux-ci toujours inutiles, car il est si preste qu’on le voit à peine. Il va, décrivant de vastes cercles, et quand il semble menacer l’un des deux guerriers, il frappe l’autre. À tous les deux il éblouit tellement les yeux, qu’ils ne peuvent plus voir d’où il les attaque.

« Entre les deux guerriers à terre et celui qui était en l’air, la bataille dura jusqu’à cette heure qui, déployant sur le monde un voile obscur, décolore toutes les belles choses. Cela fut comme je dis, et je n’y ajoute pas un poil. Je l’ai vu, je le sais, et je n’ose pas encore le raconter à autrui, car cette merveille ressemble plutôt à une fable qu’à la vérité.

« Le chevalier aérien avait au bras un écu recouvert d’une belle étoffe de soie. Je ne sais pourquoi il avait tant persisté à le tenir caché sous cette étoffe, car aussitôt qu’il le montre à découvert, force est à qui le regarde de rester ébloui, de tomber comme un corps mort tombe, et de rester ainsi au pouvoir du nécromant.

« L’écu brille comme un rubis, et aucune autre lumière n’est si resplendissante. Devant son éclat, les deux guerriers furent forcés de tomber à terre, les yeux éblouis et sans connaissance. Je perdis