Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/109

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pulcre ne fut point aussi prompt à se construire, non plus que la tour à s’élever. Lorsqu’elle fut terminée, on établit sur la cime une vedette, chargée d’indiquer à Rodomont, par le son du cor, la venue de tout chevalier.

Rodomont s’armait aussitôt et venait disputer le passage, tantôt sur une rive, tantôt sur l’autre. Si le chevalier se présentait du côté de la tour, le roi d’Alger se transportait sur l’autre bord. Le pont étroit servait de champ clos, et pour peu que le cheval déviât de la ligne, il tombait dans le fleuve qui était très profond. Il n’y avait pas de péril égal au monde.

Le Sarrasin avait imaginé ce genre de combat pour être exposé à tomber souvent du haut du pont la tête la première dans le fleuve, où il aurait été obligé de boire beaucoup d’eau. Il voulait expier ainsi l’erreur où l’avait entraîné le vin bu outre mesure. L’eau, non moins que le vin, rachète la faute que la main ou la langue a commise sous l’influence du vin.

En peu de jours, beaucoup de chevaliers passèrent par là ; quelques-uns y arrivèrent tout naturellement en suivant leur chemin ; c’étaient ceux qui allaient en Italie ou en Espagne, et qui n’avaient pas d’autre route plus fréquentée. D’autres y vinrent d’eux-mêmes, estimant l’honneur plus que la vie, et désireux de faire montre de leur vaillance. Et tous, là où ils croyaient cueillir la palme, étaient forcés d’abandonner leurs armes ; beaucoup y perdaient en même temps la vie.