Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/113

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Le comte, depuis qu’il avait été pris de folie furieuse, avait parcouru beaucoup de pays ; il arriva enfin au sommet de la chaîne de montagnes qui sépare la France de l’Aragon. Il se dirigeait du côté où le soleil se couche, suivant un étroit chemin qui surplombait une vallée profonde.

Du côté opposé, s’en venaient deux jeunes bûcherons qui poussaient devant eux un âne chargé de bois. S’apercevant à son aspect qu’il avait la cervelle vide, ils lui crièrent d’une voix menaçante qu’il eût à reculer ou à se ranger de côté, et à laisser libre le milieu du chemin.

Roland ne fit pas d’autre réponse que de presser le pas d’un air furieux, jusqu’à ce qu’il fût arrivé vers l’âne. Alors, il le saisit par le flanc et, avec cette force qui n’avait point d’égale, il le lança si haut, qu’il semblait un petit oiseau volant dans les airs. L’âne alla tomber sur la cime d’une colline qui se dressait à un mille de la vallée.

Puis le comte s’approcha des deux jeunes gars. L’un d’eux fut en cette circonstance plus heureux que prudent. Il se jeta, par peur, du haut d’un ravin haut de deux fois trente brasses. Il tomba au beau milieu d’un amas de ronces, d’herbes et de terre molle. Il en fut quitte pour quelques égratignures au visage, et put s’échapper sain et sauf.

L’autre s’accrocha à une souche qui sortait du rocher, espérant grimper jusqu’à la cime assez promptement pour éviter les atteintes du fou. Mais celui-ci, acharné à sa poursuite, le saisit par