Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/128

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« Vous gagnerez peu de chose, et pourrez perdre beaucoup à la bataille que vous allez livrer. Quand vous aurez arraché l’aigle des mains de Roger, ce sera un maigre résultat pour un grand travail. Mais si la Fortune vous est contraire — et vous ne la tenez pas encore par son cheveu — vous serez cause d’un malheur à la seule pensée duquel je sens que mon cœur se déchire.

« Si vous tenez pour vous-même assez peu à la vie pour lui préférer une aigle peinte, qu’elle vous soit au moins chère pour ma vie à moi, car l’une ne saurait s’éteindre sans entraîner l’autre avec elle. Ce n’est pas de mourir avec vous qui me paraît douloureux ; je vous suivrai dans la vie, comme dans la mort ; mais je ne voudrais pas mourir avec la douleur de descendre après vous dans la tombe. »

Par de telles paroles et beaucoup d’autres semblables, accompagnées de larmes et de soupirs, elle ne cesse toute la nuit de supplier son amant et de le ramener à des idées de paix. Celui-ci cueille ces douces larmes sur ses beaux yeux humides, et ces tendres plaintes sur ses lèvres plus vermeilles que la rose. Pleurant lui aussi, il répond ainsi :

« Ô ma vie, ne vous mettez par Dieu point en souci pour si peu de chose ; quand même Charles et le roi d’Afrique, et tout ce qu’ils ont avec eux de chevaliers maures et français, déploieraient leurs bannières contre moi seul, vous ne devriez pas vous en effrayer davantage. Vous pa-