Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/160

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éperonne Batolde, son gentil destrier, et s’élance contre son adversaire avec une impétuosité telle qu’il fit bien voir qu’en fait de courage, il pouvait être comparé à n’importe quel chevalier du monde. Quant à Rodomont, mettant sa lance en arrêt, il galope à toute bride sur le pont étroit.

Son destrier, qui avait l’habitude de ce chemin difficile sur lequel il avait déjà fait souvent tomber plus d’un cavalier, accourait avec assurance à la rencontre. L’autre, effrayé par cette course inaccoutumée, s’avançait hésitant et timide. Le pont tremblait sous leurs pieds et semblait près de s’écrouler dans l’eau, outre qu’il était fort étroit et sans parapet.

Les chevaliers, tous deux maîtres en l’art de jouter, avaient des lances grosses comme des madriers et telles encore qu’elles étaient dans leurs écorces sylvestres. Ils s’en portèrent des coups si terribles, qu’il ne servit à rien à leurs coursiers d’être vigoureux et lestes. Tous les deux furent renversés sur le pont, ainsi que leurs maîtres, ne formant qu’un tas.

Pressés par les éperons, ils voulurent se relever immédiatement, mais le pont était si étroit, qu’ils ne trouvèrent pas où poser un pied ferme. Tous deux, par une égale fatalité, tombèrent dans l’eau. Leur chute produisit un bruit effroyable qui monta jusqu’au ciel, pareil à celui que fit en tombant dans notre fleuve celui qui sut si mal diriger le char du soleil.

Les deux chevaux, chargés du poids de leurs