Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/196

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sans apprêts, vous surpasse en beautés et en belles manières. — »

De même qu’en un instant on voit une nuée obscure s’élever de la vallée humide vers le ciel, et couvrir d’un voile de ténèbres la face jusque-là si pure du soleil, ainsi l’on vit la dame changer de visage à cette dure sentence qui la condamnait à affronter au dehors la pluie et le froid. Elle, tout à l’heure si joyeuse et si belle, elle ne ressemble plus à elle-même.

Elle pâlit et change entièrement de visage, tellement il lui plaît peu d’entendre une telle sentence. Mais Bradamante, qui en a pitié, ne veut pas qu’elle s’en aille, et elle émet ce sage avis : « Il me semble que la décision n’est pas bonne, et que tout jugement est injuste quand il est prononcé sans qu’on ait entendu la partie qui nie aussi bien que celle qui affirme, et les raisons qu’elle allègue.

« Pour moi, qui me fais le défenseur de cette cause, je dis : il ne s’agit pas de savoir si je suis plus ou moins belle. Je ne suis pas venue ici comme dame, et je ne veux pas que mes actes soient ceux d’une dame. Mais qui pourra dire, à moins que je ne me dépouille entièrement, si je suis ou si je ne suis pas une dame ? Or, on ne doit pas dire ce qu’on ne sait pas, surtout quand quelqu’un doit en souffrir.

« Il y en a beaucoup d’autres qui, comme moi, ont les cheveux longs, et qui ne sont point femmes pour cela. Il est évident que c’est comme cheva-