Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/256

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transpercé le cœur ? Je ne me plains pas d’un pareil destin, pourvu qu’il ne s’aggrave pas, mais qu’il reste en l’état où il est. Car je craindrais, si mon mal allait en augmentant, d’en venir au même point que Roland, dont je vous ai décrit la folie.

Pour ravoir mon esprit, m’est avis qu’il n’est pas besoin que je m’élève dans les airs jusqu’au cercle de la lune, ou jusqu’au paradis ; je ne crois pas que mon esprit soit placé si haut. Il erre dans vos beaux yeux, sur votre figure si sereine, sur votre sein d’ivoire où s’étalent deux globes d’albâtre. C’est là qu’avec mes lèvres j’irai le poursuivre, si vous voulez que je le reprenne.

Le paladin parcourait ces vastes bâtiments, prenant connaissance des existences futures, après avoir vu dévider sur le rouet les existences déjà ourdies, lorsqu’il aperçut un écheveau qui semblait briller plus que l’or fin. Les pierreries, si l’art pouvait les étirer comme des fils, n’atteindraient pas la millième partie de cet éclat.

Le bel écheveau lui parut merveilleux, car il n’avait pas son semblable parmi une infinité d’autres. Un vif désir lui vint de savoir ce que serait cette vie ; et à qui elle était destinée. L’évangéliste ne lui en fit pas un mystère ; il lui dit qu’elle apparaîtrait au monde pendant l’année quinze cent vingt du Verbe incarné.

De même que cet écheveau n’avait pas son semblable pour l’éclat et la beauté, ainsi devait être la vie de celui qui en sortirait pour s’illustrer dans