Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/278

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cruauté inouïes. Je rapporterai seulement le fait suivant qui devrait, chaque fois qu’on en parle, tirer des larmes des rochers eux-mêmes. Le jour, seigneur, où vous envoyâtes vos troupes contre les ennemis qui, après avoir abandonné leurs vaisseaux, s’étaient réfugiés dans une forteresse,

Je vis, semblables à Hector et à Énée, allant jusqu’au sein des flots brûler les navires des Grecs, un Hercule et un Alexandre, emportés par leur trop grande hardiesse, s’élancer d’un même pas. Éperonnant leurs destriers, ils dépassèrent tous les autres combattants, et refoulèrent les ennemis troublés jusque dans leur repaire. Ils allèrent si avant, que c’est à peine si le second put s’en revenir, et que le premier ne le put pas.

Ferruffin se sauva, mais Cantelmo resta prisonnier. Ô duc de Sora, quelle douleur dut te percer le cœur, quand tu vis ton généreux fils entouré de mille épées, mené prisonnier sur un navire, et décapité en plein tillac ? Je m’étonne que la vue du fer qui frappait ton fils, ne t’ait pas donné du même coup la mort.

Cruel Esclavon, où as-tu appris l’art de faire la guerre ? Dans quelle partie de la Scythie as-tu entendu dire qu’un chevalier fait prisonnier, qui a rendu ses armes et qui ne se défend plus, doive être mis à mort ? N’as-tu donc tué ce malheureux que parce qu’il avait défendu sa patrie ? C’est à tort que le soleil répand ses rayons sur toi, siècle cruel, car tu es plein de Thyestes, de Tantales et d’Atrées.