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Page:L’Avenir, vol. 2, n° 29, 8 avril 1848.djvu/3

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Dans la majorité de ses membres elle était composée d'hommes qui, toute leur vie, avaient par violence et par l'intrigue repoussé toute idée de responsabilité, affiché le mépris pour l'extension des libertés populaires, pour le gouvernement des majorités.

Les hommes qui toute leur vie avaient lutté contre ceux-là, et qui s'étaient réunis à eux, sur la foi que le gouverneur voulait et pouvait par son influence en Angleterre faire beaucoup de bien au pays, s'étaient placés dans une fausse position.

C'était, dans d'autres proportions, la même combinaison que celle qui a failli réussir durant le dernier Parlement, d'un ministère tory pour le Haut-Canada, avec un ministère libéral pour le Bas-Canada. L'on disait: cela prouvera jusqu'à l'évidence l'absurdité de l'acte d'Union qui ne peut fonctionner qu'accompagné des contradictions les plus palpables.

J'ai dit à qui m'en a voulu parler, car je ne suis pas plus empressé à donner dans la vie privée mon avis quand il n'est pas demandé, que je ne serai disposé à le dissimuler, quand les devoirs de la vie publique sembleront m'appeler à l'énoncer, que cet arrangement était immoral et devait être repoussé.

Que rien ne pourrait éclairer ceux qui ne voulaient pas voir, ceux qui n'étaient pas convaincus, indépendamment de ce honteux pêle-mêle d'hommes et de principes antagonistes, des absurdités de l'Union, de l'impossibilité qu'elle durât, dès que cesserait la coercition.

J'ai toujours espéré que les libéraux du Haut-Canada, s'ils sont amis d'un gouvernement économique où le peuple tout entier puisse surveiller de près la conduite de ses représentants, s'occuper souvent et avec ardeur des intérêts communs, sur lesquels il eut et doit influer, non pas seulement au jour de l'élection, mais en toute occasion, par l'expression forte, libre et fréquente de ses sentiments, sur les questions politiques débattues en dedans et en dehors du Parlement, pourraient, après avoir réformé la représentation pour l'asseoir sur sa base rationnelle, solide, inaltérable, d'après les règles de la justice, du respect et de l'affection que chaque homme doit avoir pour tous les hommes ses frères, qui ne s'en sont pas rendus indignes, après s'être exposés aux vexations que leur a si longtemps fait éprouver une injuste minorité, pourraient, dis-je, entendre avec calme les fortes raisons qu'il y a, dans l'intérêt bien entendu des deux sections de la province, de leur restituer un gouvernement séparé, qui connaît mieux et mieux procurerait les lois et les mesures les plus conformes à leurs convictions, à leurs voeux et à leurs intérêts permanents.

Toute législation forcée ne saurait avoir de durée. C'est dans l'urne électorale, on dans la promulgation des statuts, militant contre l'instinct des masses, que finalement sera décidée la vie ou la mort des idées qu'elles ont professées. Cette question de l'Union, je n'en abandonnerai pas la considération, je l'ajourne jusqu'après la réforme électorale, si celle-ci est franche et n'est pas trop retardée. Je l'ajourne, et pourtant cette Union est odieuse à mes compatriotes.

Je sais que le pays entier ne la souffre qu'avec indignation, qu'il sent le mal infini qu'elle lui a fait, et calcule le mal plus grand qu'elle lui fera; qu'il sait qu'elle lui a été imposée par les hommes de la même école dans le même but, par les mêmes moyens criminels, qui font d'une autre union la honte de l'Angleterre et le fléau maudit de l'Irlande.

Quand elle a été promulguée, les districts de Québec et des Trois-Rivières ont su leur devoir et ont protesté contre l'iniquité. D'une extrémité à l'autre du pays notre vertueux clergé, habituellement réservé à l'extrême à s'immiscer en nos questions politiques, afin de se dévouer tout entier à l'exercice de son pieux ministère, afin, à l'abri de sa judicieuse neutralité, de demeurer hommes de paix et de réconciliation, qui peuvent rappeler à des sentiments de modération ceux que la fureur de l'esprit de parti pousserait à s'entre-haïr, à s'entre-nuire follement, n'ont pu voir le coup mortel fulminé contre tout un peuple, leurs ouailles chéries, sans unir leur cri de douleur à son cri de détresse; et eux tous ont vertueusement protesté contre l'iniquité. Mais les angoisses de l'agonie du Bas-Canada n'auraient-elles trouvé que de tièdes sympathies, et ses plaintes nul écho dans le district de Montréal, ni dans le Parlement de lord Sydenham? Par la force armée, par de brutales violences, il commanda dans le district le mutisme de la terreur.

Par une corruption effrénée, des déceptions infinies, un mépris cynique et affiché pour les lois, il démoralisa le pays, entacha toutes les élections, où il prit part, de souillures inconnues avant lui, et se donna une majorité vénale ou passionnée, sans écho pour les plaintes du pays, dont elle n'était pas une émanation.

Il nous a fait comprendre combien était profonde la gangrène de la corruption, qui ronge et salit l'Angleterre, car c'est de là qu'il avait importé l'adepte qui nous a initiés à la connaissance, que nous ne soupçonnions pas avant de l'avoir vu opérer, que, sans aucun titre à la confiance des électeurs, ou pouvait leur escamoter le faux-semblant de leur mandat, et les représenter malgré eux. C'est cet homme et quelques autres moralistes de la même école, qui nous ont donné le gouvernement responsable, des exemples de conduite politiques détestables, et quelques leçons utiles, comme celle-ci:

« Les habitants du Haut-Canada appellent à hauts cris le gouvernement responsable; les bonnes gens, bien assurément, ne savent pas ce que c'est, ce qu'ils veulent: n'importe, cela prouve du moins qu'ils sont bien las et excédés du Family Compact. »

Et cette autre bonne leçon, qui devrait nous guérir de cet esprit d'adulation et de courtisanerie coloniale, qui n'endort et ne trompe aucun homme sensé en Angleterre.

En fait de professions de loyauté, personne ne surpassera l'art, l'ardeur et l'infatigable persévérance du Family Compact à trompeter tout ce qu'il en avait, sous toutes les formes et formules imaginables.

Eh bien! qu'a-t-il gagné à tout ce vain étalage de ses friperies?

Comparé avec le parti des mécontents, il fut jugé par cet arrêt équitable:

« Malgré toutes ses professions de loyauté, le Family Compact ne vaut pas mieux que les autres. »

C'était à cause de tels antécédents que le dernier ministère était sans force et sans estime auprès du peuple, en minorité absolue parmi les électeurs, quoiqu'il eût dans la Chambre une faible majorité numérique, constitutionnelle, dans les notions et précédents bretons, avec les bourgs pourris créés d'après la sagesse de leurs ancêtres, au 12e siècle; usurpation dans les principes de la législation du 19e siècle, là où elle a été libre, où elle n'est pas enfargée sous l'accumulation de préceptes empruntés aux âges d'ignorance, où le droit de l'épée fonda des constitutions, que l'action de la presse broie et pulvérise incessamment pour les remouler et les refondre, d'après les besoins nouveaux de sociétés qui ne sont pas demeurées stationnaires pendant sept cents ans.

Il faut bien l'avouer, ce n'est pas avec une grâce parfaite, ni une logique très serrée, que l'opposition a pendant trois ans dénoncé ce ministère, exploitant dans l'intérêt de ses préjugés la majorité du peuple, quand en même temps elle n'a fait aucun effort pour demander un système de représentation vraie.

En apparence, c'était rapetisser les proportions de la politique générale à celles d'une politique personnelle que de ne pas entreprendre plus qu'on ne l'a fait en vue de réformer le système défectueux de représentation qui avait donné à ses adversaires le moyen de couvrir des apparences de la légalité un frauduleux exercice du pouvoir.

Quand on ne veut pas la fin, on ne tolère pas les moyens. On les dénonce, on les attaque en minorité comme en majorité. L'on s'engage ainsi, l'on se lie ainsi à faire prévaloir des principes vrais et salutaires, au jour où l'on sera saisi du pouvoir. Cet arrangement de bourgs et de comtés sas électeurs; cette combinaison européenne inepte en autant qu'appliquée à une société de cultivateurs indépendants, colonisés dans le voisinage des États-Unis, qui jouissent des avantages du suffrage quasi universel et de la représentation proportionnée à la population, était si évidemment bien adaptée pour assurer les résultats que l'on avait sous les yeux, que ceux qui ne s'efforçaient pas de déraciner le mal, avaient l'air de le cultiver comme pour l'exploiter à leur tour. Ils avaient l'air de tolérer le principe, de n'en haïr que la conséquence et l'application contre eux.

Lord Durham, dans son Rapport, avait remarqué que, dans le Haut-Canada, chaque Parlement avait depuis longtemps donné une majorité différente, tirée alternativement des deux partis qui le divisaient. L'observation a continué à recevoir son application. Deux élections ont eu lieu depuis cette époque. La précédente tory, la présente libérale et réformiste. Ces oscillations régulières de droite à gauche, entre des doctrines antipathiques et contradictoires, prouvent qu'il n'y a guère de foi et de croyances politiques dans le pêle-mêle de ses populations.

Il semble résulter de ces anomalies que le sort des élections aurait ci-devant dépendu de quelques étroites considérations de lucre et de gain, attendu des améliorations à faire dans le voisinage; autrement les hommes de la minorité, avouant effrontément des opinions politiques aussi odieuses dans tout le reste de l'Amérique, que celle d'après lesquelles ils ont si abusivement exercé le pouvoir et dilapidé la fortune publique, n'auraient jamais pu être élus.

Si les élections ne dépendaient ainsi que de l'âpreté à puiser dans le fonds commun pour l'appliquer à des intérêts de localité, il est bien déplorable que le Bas-Canada soit jeté dans une alliance forcée, où il est assuré de trouver que, de deux Parlements, l'un sera le mauvais. Le Parlement hostile le pillerait par droit d'habitude formée et de prescription acquise; par principe pour le punir de son radicalisme passé, présent et futur. Puis l'autre, le bon Parlement ami, lui demanderait à son tour une bien grande part, comme offrant la meilleure chance de conserver les libéraux au pouvoir. Nous avons cette année le bon Parlement, qu'il se hâte d'assurer la pureté des élections, l'égalité de droits entre les citoyens de toute origine, énumérés comme n'ayant qu'une valeur uniforme, sur chaque portion du territoire où ils sont établis; puis après cela tous, tories et libéraux, dépendront des suffrages des majorités et n'auront plus à craindre ni les fraudes électorales ni les résultats des élections.

Ces idées, il est vrai, sentent le voisinage; mais c'est que là dans un âge de lumières, sans être gênés par des antécédents inapplicables à un état de société où il n'y a que des propriétaires indépendants, ils ont trouvé ce qui convenait au système représentatif pour qu'il rendît la pensée et reflétât l'image véritable du peuple, tel que la situation le forme et le fait en Amérique.

L'analogie pourrait-elle échapper à nos observations, pourrions-nous échapper entièrement à son influence, quand malgré toutes les prédilections de rang, de caste, de fortune, d'éducation, de fierté nationale, le saisissant tableau de leur forte vitalité et de leur prospérité, et celui de la langueur de toutes les colonies anglaises, est déroulé avec tant de franchise et de profonde conviction dans les rapports de lord Durham? Nous ne pouvons l'éviter. Nous sommes déjà sous la protection des États-Unis, contre notre folle disposition à nous engager dans des dépenses extravagantes, dans des difficultés inextricables, dans des dettes impayables, si l'esprit qui a dominé depuis l'Union, l'ardeur imprévoyante à emprunter autant que peut s'étendre le crédit sans pourvoir en même temps à des fonds d'amortissement suffisants, continuait à prévaloir. Certes cette témérité serait bien plus fatale dans une colonie que dans un état indépendant, car l'impitoyable créancier est dans le Parlement dominateur.

Plusieurs des États de la confédération ont eu leurs jours de vertige et d'enivrement, dans lesquels rêvant des profits sans bornes, ils s'étaient engagés dans des dépenses excessives, jusqu'à ce que la perte du crédit occasionnât pour quelques-uns le malheur de la suspension; pour une couple d'entre eux, l'infamie de la répudiation.

Cette douloureuse expérience les a rendus sages, et le peuple de l'État de New York qui, en ?contravention?, a si paisiblement refondu et refait sa constitution l'an dernier, a imposé de sages restrictions gêner cette dangereuse propension à l'emprunt, qui l'avait travaillé comme il nous travaille aujourd'hui, en déclarant que nul emprunt ne serait fait, ni par la législature, ni par aucune corporation, à moins qu'il ne fût accompagné de la création d'un fonds d'amortissement, qui assurerait son remboursement sous dix-huit ans, et qu'en outre avant d'être effectué, il serait soumis à l'approbation ou à la désapprobation de tout le peuple, s'il était proposé pour l'état de tous les contribuables, s'il était proposé pour quelque corporation. Avec une telle législation, ses canaux seront bientôt rachetés. Il deviendra le maître de statuer que nous ne retirerons aucun revenu des nôtres; car, pouvant alors rendre les siens libres, il nous forcera à rendre libres les nôtres aussi, quoiqu'ils ne fussent pas rachetés.

Le gouvernement général est entré, avec énergie et succès, dans la voie de l'abaissement des tarifs de douane, en renonçant au système erroné des droits protecteurs de l'industrie nationale. Il a eu, par le bill de la sous-trésorerie, la sagesse de s'assurer une suffisante circulation métallique au lieu du système fautif de ses banques et de leurs excessives issues en papier. Sa récompense est un fait unique dans l'histoire, dans la facilité et le bas prix de ses emprunts à la fin de la guerre: à mesure qu'il devient plus puissant, plus inattaquable, ses ressources augmentent plus rapidement que ses dépenses. Tout lui profite.

La guerre vient de lui donner d'immenses territoires. Qu'ils fussent demeurés mexicains, d'ici à cents ans, ils n'avaient pas plus de valeur que les sables de l'Afrique. Devenus américains, ils acquièrent du jour au lendemain, par l'opinion qui prévaut dans le monde, de la bonté des institutions de ce pays, la même valeur qu'ont les autres terres de l'Union, dans les marchés de l'Europe entière.

Les convulsions et les terreurs qui vont si profondément remuer l'ancien monde vont faire affluer, plus abondants que jamais, les hommes et les capitaux aux États-Unis. Ils vendent plus de terres et peuvent proportionnément diminuer leurs tarifs de douane, et nous interdisent par là la faculté d'élever les nôtres. J'ai donc raison de dire que nous sommes sous leur protection contre notre entraînement insensé à continuer l'agiotage effréné qu'a accrédité lord lord Sydenham, jouant à coup sûr; lui qui ne regardait qu'au triomphe de ses plans pendant son passage éphémère au milieu de nous, parfaitement insouciant quant aux embarras, aux misères et aux scandales qu'il nous léguait.

Grâces leur soient rendues, nul gouvernement, nul homme d'État ne peut prétendre prélever un plus fort revenu des douanes et des canaux que celui qui est maintenant prélevé; et il faut pourvoir à l'amortissement de la dette! L'habileté du financier placé dans le voisinage d'un pays aussi prospère, ne peut plus se prouver par son ardeur à imaginer quelque taxe nouvelle imprévue (la contrebande en ferait bon marché), mais par son ardeur à proposer un nombre infini de réductions de dépenses et de réductions de salaires, auxquelles pas un de ses prédécesseurs n'aurait pensé. Et pour cela encore, les leçons et les exemples nous viendront, bien plus utiles et applicables, du voisinage que d'outre-mer.

Tout en priant l'honorable membre de Gaspé de retirer sa motion d'amendement, je dis comme lui: Oui, il est mieux que les solliciteurs généraux ne soient pas du Conseil exécutif, parce que les devoirs de leurs charges sont assez variés et importants pour les retenir utilement et constamment dans les cours de justice, pour qu'il ne leur reste pas le temps d'assister aux délibérations du conseil. Parce que si, dans l'exercice de leur ministère, ils donnaient de justes sujets de plaintes, par des hauteurs et des partialités condamnables, les individus lésés n'auraient pas la facilité ou du moins n'auraient pas l'espérance d'obtenir justice et réparation, s'ils les voyaient les égaux des autres conseillers et délibérant en secret avec eux sur toutes les matières d'État, d'autant plus souples et portés à flatter les opinions de la majorité qu'ils auraient plus d'intérêt à capter sa faveur, pour adoucir une sévérité méritée.

De même les commissaires des Travaux publics.

La nature des connaissances particulièrement nécessaires aux personnes appelées à cette situation sont plutôt celles de l'ingénieur civil, pour la juste appréciation de la bonté et de la solidité des travaux exécutés, et de la justesse des prix demandés, que celle de l'homme d'État.

Les membres choisis en cette occasion sont des hommes du premier mérite, nous le savons.

Il est possible qu'ils réunissent cette variété de connaissances qui se trouvera bien rarement dans la même personne; qu'ils sont également qualifiés pour la direction politique de l'État et pour la surveillance de travaux mécaniques. C'est une rare et heureuse exception. Mais il n'en est pas moins vrai qu'ils sont dans la nécessité d'être très fréquemment absents pour surveiller et diriger les travaux publics en voie d'exécution dans toutes les parties d'une province de plus de sept cents lieues de longueur, et qu'ils sont responsables d'une multitude de décisions journellement prises dans le cabinet en leur absence, et sur lesquelles ils n'auront pu être consultés.

Ce n'est pas juste, dira-t-on; c'est inévitable, dirai-je. Faut-il, dans les sociétés où un acte ministériel serait blâmé, dire: je m'en lave les mains, je n'y ai pas concouru? Ils ne le peuvent pas. Ils sont enchaînés par la religion du serment à taire le secret des délibérations du corps dont ils font partie. Ils sont pressés, on leur dit: plutôt que de participer à une erreur si grave, qui est sensible ici, qui éclate sous nos yeux, mais qui n'a pas été prévue par un cabinet claquemuré dans la ville, à mille milles d'ici, votre devoir est de résigner. Oh! diront-ils, ce n'est pas chose aisée que de troubler la stabilité