Page:L’Ermitage, volume 20, janvier-juin 1900.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IV

Heureux l’homme qui vit dans la simplicité
Et n’a jamais franchi les murs de la cité
Où ses parents près des aïeux semblent attendre
Que sa poussière enfin se confonde à leur cendre.
Heureux l’homme des champs qui fume de sueur :
Il est beau comme Adam à son premier labeur.
Enfant il ramassait les glanes, patriarche
Malgré l’âge il engrange encor les blés et marche
En écoutant le cri des chariots bourbeux
D’un pas égal et grave à côté de ses bœufs.
Après la faux il prend le soc, sa force drue
Pousse à travers le sol l’aile de la charrue ;
Il disperse le pain futur dans les sillons
Où le soleil couchant dépose des rayons ;
D’un pied souple il pétrit les grappes dans la tonne ;
Sa hache sur le tronc des vieux chênes résonne
Dans le silence d’or des clairières d’automne.
Ainsi le long des ans qui passent les saisons
Nouent et dénouent leur ronde et mêlent leurs chansons.
Mais l’âpre laboureur ne voit dans la nature
Qu’un avare et fécond grenier de nourriture
Et ne rêve jamais devant les horizons.
Quand la bise plaintive et noire de décembre
Chante avec le rouet des vieilles dans la chambre,
Les paumes de ses mains se tournent vers le feu,
Sa Bible s’ouvre seule à la page qu’il aime,
Et son esprit d’enfant l’épelle en priant Dieu.