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Page:L’Ermitage - 1906, tome 2, juillet-décembre.djvu/191

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croyant le trouver avec Saint-Thomas à la main et en conférence avec des padrasses ; mais au lieu de cela, je le trouve les cartes à la main, attentif à une partie de piquet contre un autre moine qui juroit contre la fortune. Je croyais, lui dis-je, de vous trouver enfoncé dans l’étude : il me répond oportet studuisse.

Je l’ai laissé l’assurant de me trouver tantôt à son combat, où je me faisois une fête d’entendre argumenter le fameux Mamocchi. Ah ! que j’ai souffert ! Le rédipiendaire étoit non pas sur un tabouret, mais sur la sellette comme un coupable. Il devoit réassumer les argumens in forma de ses quatre bourreaux, dont le plaisir étoit de faire à leurs syllogismes des majeures qui ne finissoient jamais. Je trouvois qu’ils avoient tout tort, car ils étoient tous absurdes ; mais je les félicitois de ce qu’il ne m’étoit pas permis de parler. Sans être théologien je me flattois que je les aurois écrasés tous avec le bon sens ; mais je me trompois : le bon sens est étranger à toute la théologie, et principalement à la spéculative : et Stratico me le prouva théologiquement le même jour dans une maison où il me mena souper avec lui.

Son frère, professeur de mathématique de l’université de Padoue arriva dans le même tems à Rome, venant de Naples avec le jeune chevalier de Morosini, dont il étoit gouverneur. Il s’étoit cassé une jambe dans les courses que son élève effrené l’obligeoit à faire ; il venoit à Rome pour achever sa guérison. La société de ces comtes Stratico frères, tous les deux honnêtes, savans, et sans préjugés fit mes délices jusqu’à ce qu’étant partis j’ai aussi quitté Rome, où j’avois beaucoup joui ; mais trop dépensé. Je suis allé à Florence après avoir pris congé de toutes mes connoissances, et principalement du cardinal qui espéroit toujours que louis XV le rappelleroit à Versailles.

Telle est la fatalité de tous les hommes, qui après s’être vus ministres dans une grande cour, se trouvent réduits à devoir vivre ailleurs, ou sans aucun caractère, ou avec une commission qui les rend dépendans des ministres leurs successeurs. Il n’y a point de richesse, point de philosophie en nature, point d’image de paix, de tranquillité, ou d’autre bonheur qui puissent les consoler ; ils languissent, ils soupirent, et ils ne vivent que pour espérer qu’ils seront encore rappelés. Aussi en comparaison nous trouvons dans l’histoire que les monarques qui ont abdiqué le trône sont plus nombreux que les ministres qui ont