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13 Juin 1914
No 3720 — 525
L’ILLUSTRATION


L’OCCUPATION DE VERA-CRUZ. — Plan et tracés montrant l’avance progressive des colonnes américaines dans la ville, les 21 et 22 avril. Le signe     indique les points de la résistance mexicaine.

LES AMÉRICAINS AU MEXIQUE

(Lettres de notre envoyé spécial)




Les lettres de notre envoyé au Mexique, M. Louis Botte, que nous publions aujourd’hui, nous disent, avec la précision méticuleuse et chronologique des faits, ce que fut exactement la prise de Vera-Cruz et comment la nouvelle de l’invasion américaine déchaîna l’émeute patriotique à Tampico, dont la population, assez indifférente à la guerre intérieure, au duel des huertistes et des constitutionnalistes, se dressa avec ardeur, soudainement armée, pour résister à l’attaque américaine dont elle se croyait à son tour menacée. Pendant ces événements et jusqu’à la veille de la prise de Tampico par les révolutionnaires, notre correspondant se trouvait dans cette ville. Ce n’est qu’un peu après, lors de son retour à Vera-Cruz, qu’il a pu obtenir les détails très complets qu’il nous donne sur la prise de possession, par les Américains, du premier port du Mexique.


LA RÉSISTANCE MEXICAINE À VERA-CRUZ

Vera-Cruz, mai 1914.

Le mardi 21 avril, à 10 heures ½ du matin, le représentant des États-Unis à Vera-Cruz prévenait notre consul, M. Brouzet, que son gouvernement ordonnait l’occupation immédiate et par la force, dans la ville mexicaine, de la gare et de la douane. Aucune communication antérieure ne pouvait faire prévoir cette détermination. Cependant, à 11 heures moins 10, les premiers envahisseurs touchent la terre et, quelques instants plus tard, les canons du Prairie tirent sur cette ville ouverte.

On s’étonnera peut-être que les autorités américaines aient prévenu les puissances étrangères d’un fait aussi grave que l’occupation et le bombardement de Vera-Cruz avec un pareil sans-gêne. Elles ont réparé, en partie, cette négligence quelques jours plus tard. Le 29 avril, elles communiquaient à tous les consuls la copie d’une lettre datée du 21 et adressée au général Maas, gouverneur de Vera-Cruz, par le capitaine de vaisseau Huse, chef d’état-major de l’amiral Fletcher. Dans cette lettre, le signataire demandait au gouverneur de rendre la ville sans résistance, faute de quoi il se verrait obligé de la bombarder. Or, le général Maas n’a jamais reçu cette lettre ? Il en a donné sa parole d’honneur. Quoi qu’il en soit, le tour est suffisamment joué pour que les puissances neutres se taisent. Il faut dire aussi que les agents américains ont probablement été surpris par le brusque changement de front de leur gouvernement. Les militaires ne croyaient pas non plus à l’imminence de cette opération : aucune précaution n’était prise et jamais les forces américaines devant la ville n’avaient été aussi réduites. Un seul cuirassé, le Florida, battant pavillon de l’amiral Fletcher, mouillait devant les jetées, et le port abritait seulement le croiseur-transport Prairie. Ce dernier navire, il est vrai, logeait quatre compagnies du 2e régiment d’infanterie de marine et un détachement du régiment de Panama amené sur les côtes du Mexique « pour raison de santé ». Les autres fractions du même régiment étaient réparties sur les cuirassés croisant devant la côte. Cependant, vers 10 heures du matin, le cuirassé Utah, envoyé de Tampico, rejoint le Florida. Un peu plus tôt, un train bondé d’Américains venant de Mexico était arrivé en gare. Tous ces gens partaient du Mexique et s’embarquaient sur le vapeur Esperanza. À peine le dernier réfugié a-t-il quitté la terre que l’ordre de débarquement est lancé.

Tandis que les « marines » — c’est-à-dire l’infanterie de marine — du Prairie, environ 350 hommes, quittent leur bord à la rame et atterrissent au môle terminal, ceux du cuirassé Florida, accompagnés de nombreux marins, formant au total un nombre d’hommes égal à celui du premier groupe, descendent dans les baleinières et celles-ci, remorquées par les chaloupes à pétrole ou à vapeur, les amènent dans le port.

Dès que les embarcations des cuirassés approchent du quai, les soldats, déjà massés devant la gare, se déploient en colonne double et pénètrent dans la gare qu’ils occupent sans résistance. Puis, traversant les bâtiments, ils ressortent dans la rue de Montesinos à la hauteur de la rue de l’Indépendance, et une section se détache pour aller prendre possession du bureau de la Compagnie des câbles télégraphiques. À ce moment, un premier coup de fusil est tiré sur les Américains, mais ils passent sans répondre. La colonne rentre dans la gare et continue sa route derrière les murs, jusqu’à la rue du Cinq-Mai. Elle doit suivre maintenant la chaussée. Mais elle est attendue par un groupe d’une dizaine de Mexicains : soldats, agents de police, volontaires, à l’affût dans une encoignure. Les Américains sont aussitôt salués d’une fusillade à répétition bien nourrie qui les arrête net. Avant de répondre ils attendent l’ordre de leur chef, le capitaine de vaisseau Busch. Pour dégager sa colonne, celui-ci fait placer, à l’extrémité de la rue, une mitrailleuse qui, par un tir fauchant, balaie la voie en long et en large. Les tireurs s’égaillent ; mais des passants, ignorant tout des événements, ou des badauds venus pour voir, sont blessés ou tués.

Il est 11 heures 20. Les « marines » et les marins du Florida, réunis en trois compagnies avec deux mitrailleuses Colt et deux canons de campagne de 76mm sont à leur tour assemblés en une colonne devant la gare. Pour diminuer la visibilité de leurs vêtements blancs et peut-être aussi pour éviter qu’on les confonde avec les tireurs mexicains pareillement habillés de blanc, les matelots ont trempé leurs toiles dans des bains d’ocre jaune, de marc de café ou de permanganate de potasse. Ils ont ainsi obtenu des nuances curieuses et imprévues, quelque peu sauvages. Aussitôt alignés, leur colonne se met en marche dans une direction perpendiculaire à celle suivie par les « marines » du Prairie.

Les Américains occupent d’abord leur consulat, puis s’emparent de la poste, et continuent leur mouvement vers la douane par la rue Mirelos. Mais, alors, la résistance se dessine. De chaque coin de rue, de chaque balcon, de toutes les terrasses, des fusils crépitent, des revolvers claquent. La ligne des Américains se disloque. Bien qu’ils répondent cent coups pour un, il leur faut cheminer lentement, pas à pas, et prendre la rue maison par maison. Les projectiles leur arrivent sans qu’ils sachent qui les leur envoie. Dans le phare de la bibliothèque, un tireur habile arrête longtemps, à lui seul, toute la colonne. Pour le déloger, les canons de 120 du Prairie doivent démolir l’édifice.

Il faut une heure aux matelots américains pour atteindre la douane, éloignée de moins de 200 mètres. Ils s’y retranchent fortement. Un peu après, les matelots de l’Utah viennent les renforcer et, ensemble, ils poursuivront la lutte jusqu’au lendemain matin.

Pendant que la seconde colonne va occuper la douane, la première est toujours arrêtée à l’angle de la rue du Cinq-Mai. Des coups de fusil lui sont aussi tirés de la rue de l’Indépendance, où elle se voit contrainte de braquer un canon. Les tireurs mexicains sont très peu nombreux : une centaine d’hommes au plus, mais ils restent très disséminés et insaisissables. Il y a déjà néanmoins, beaucoup de morts, mais ces victimes sont, pour la plupart, des curieux trop intrépides. Cependant, un détachement rentre dans la gare et, à l’abri des wagons