Page:L’Illustration théâtrale, année 8, numéro 203, 17 février 1912.djvu/43

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Clarisse. — Ah ! oui ! oui ! il y a un docteur dans la maison, au-dessus !…

Ventroux, bourru, s’asseyant sur le fauteuil qu’il vient de quitter. — Eh ! C’est pas un docteur ! c’est un officier de santé ! il n’a pas le droit au titre.

Clarisse. — Ça m’est égal, il a fait de la médecine. Vite, Victor, montez et ramenez-le !

Victor. — Bien, Madame !

Clarisse, la main sur la partie endolorie. — Oh ! je vais mettre une compresse ! je vais mettre une compresse.

Elle rentre ainsi dans sa chambre.

Victor, sur le pas de la porte, après un instant d’hésitation, une fois qu’il a constaté la sortie de Clarisse. — Monsieur ne m’en veut pas, au moins, de ne pas avoir…

Ventroux, bondissant. — Hein ! Lui aussi ! (Le poussant dehors.) Voulez-vous !… Voulez-vous chercher l’officier de santé !

Victor — Oui, Monsieur, oui !

Au moment où il va ouvrir la porte sur le palier, on sonne et Victor va donner dans de Jaival qui est dans l’embrasure attendant qu’on ouvre.



Scène IX

Les Mêmes, Romain de Jaival

De Jaival. — Ah ! ben, on n’est pas long à ouvrir !

Victor. — Monsieur ?

De Jaival. — Monsieur Ventroux, s’il vous plaît !

Ventroux, du salon. — C’est ici. Vous désirez, Monsieur ?

De Jaival. — Ah ! pardon ! (Descendant en scène.) Je suis monsieur Romain de Jaival, du Figaro.

Ventroux. — Ah ! parfaitement, Monsieur ! (A Victor qui est au seuil du salon.) Eh bien ! allez-vous-en !

Victor. — Oui, Monsieur.

Il sort et referme la porte sur lui.

Ventroux — Qu’y a-t-il pour votre service ?

De Jaival. — Voici : je vous suis envoyé par mon journal pour vous demander une interview.

Ventroux. — Aha !

De Jaival. — Sur la politique en général… Comme vos derniers discours vous ont mis très en vue !…

Ventroux, flatté. — Ah ! Monsieur…

De Jaival. — Je dis ce que tout le monde pense !… et en particulier sur le projet de loi dont vous êtes un des promoteurs : "Les accouchements ouvriers". L’accouchement gratuit et l’État sage-femme.

Ventroux. — Oui, oh ! très intéressant ! et qui me tient très à cœur.

De Jaival. — Seulement, je voudrais faire quelque chose de pimpant, de pittoresque, de pas tout le monde ! Je m’attache à faire des chroniques brillantes ; si vous m’avez déjà lu !…

Ventroux - Mais, certainement, certainement ! Monsieur de…

De Jaival — Jaival !… Romain de Jaival !

Ventroux. — De Jaival, parfaitement ! Eh bien ! mais je suis à votre disposition. Seulement, j’ai une petite affaire à terminer avec Monsieur. (Présentant.) Monsieur Hochepaix.

De Jaival — Hochepaix ?

Hochepaix, épelant vivement. — P-a-i-x !

Ventroux. — Maire de Moussillon-les-Indrets !

De Jaival. — Oh ! parfaitement, je connais !

Hochepaix, étonné et flatté. — Moi ?

De Jaival. — J’y ai souvent pêché à la ligne.

Hochepaix. — Ah ! à Moussillon-les… oui, oui ! Non, je comprenais… Oui, oui !

Ventroux. — Alors, si vous voulez m’attendre un instant, nous passons, Monsieur et moi, dans mon cabinet ; dans cinq minutes, je suis à vous.

De Jaival. — Mais je vous en prie ! Vous permettez seulement que je m’installe à cette table ; je prendrai quelques notes pendant ce temps-là.

Ventroux, très aimable.- Vous êtes chez vous !

De Jaival, descendant pour contourner la table et aller s’asseoir sur la chaise à gauche de celle-ci. — Pardon !

Ventroux. — Venez, mon cher maire !… de Moussillon-les-Indrets !

Hochepaix. — Tout à vous, mon cher député.

Ils sortent pan coupé à gauche.



Scène X

De Jaival, Clarisse, puis Ventroux, et Hochepaix

De Jaival s’est installé à la table, a tiré son calepin, et, jetant un coup d’œil circulaire, de façon à s’imprégner du cadre, inscrit quelques notes.

Voix de Clarisse — Il n’est pas encore là ? (Sortant de sa chambre en descendant en scène sans voir de Jaival attablé.) Mais enfin qu’est-ce qu’il fait, cet homme ?

De Jaival, ne pouvant réprimer un petit cri d’étonnement en voyant paraître une femme en chemise. — Oh !

Clarisse, se retournant au son de la voix. — Ah ! le voilà ! (Allant à de Jaival.) Oh ! vite vite ! docteur !

De Jaival — Comment ?

Clarisse, le prenant par la main et l’entraînant vers la fenêtre. — Vite, vite, venez voir !

De Jaival, se laissant conduire. — Que je vienne voir ? Quoi donc, Madame ?

Clarisse. — Où j’ai été piquée

De Jaival. — Où vous avez été piquée ?

Clarisse, faisant manœuvrer le store. — Tenez, nous allons tirer le store pour que vous voyiez plus clair.

De Jaival, sans comprendre où elle veut en venir. — Ah ?… Oui, Madame, oui.

Clarisse. — Vous verrez, docteur !…

De Jaival, l’arrêtant. — Mais pardon, Madame ! pardon ! je ne suis pas docteur !

Clarisse, derrière le canapé. — Oui, oui, je sais ! vous n’avez pas le titre ! Ça n’a aucune importance. Tenez, regardez !

Elle se retrousse.

De Jaival, qui face au public, se retournant à l’invite et sursautant d’ahurissement. — Ah !

Clarisse, toujours retroussée, le corps courbé en avant, le bras droit appuyé sur le dossier du canapé. — Vous voyez ?

De Jaival — Ah ! oui, Madame !… Ça, je vois !… Je vois !

Clarisse. — Eh bien ?

De Jaival — Tout à fait pittoresque ! pimpant ! Quel chapeau de chronique !

Clarisse, tournant la tête de son côté, mais sans changer de position. — Comment ?