Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/121

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Maintenant, divinités jalouses, vous m'enviez le bonheur de posséder un mortel ! Cependant c'est moi qui ai sauvé Ulysse, lorsque, seul, il se tenait sur la carène de son navire brisé par le tonnerre du fils de Saturne, au milieu du sombre océan (tous les vaillants compagnons d'Ulysse perdirent la vie ; lui seul, poussé par les vents et par les flots, fut jeté sur ce rivage). Je le recueillis avec amour ; je pris soin de son existence; je lui promis même de le rendre immortel et d'affranchir à jamais ses jours de la vieillesse. Mais enfin, si telle est la volonté de Jupiter, qu'Ulysse parte, puisqu'aucun dieu n'ose se soustraire à cette puissance ; que ce héros s'éloigne de mon île, si toutefois le fils de Saturne lui ordonne de naviguer encore sur la mer stérile. Moi, je ne puis le renvoyer ; car je ne possède ni navires garnis de rames, ni compagnons pour le conduire sur le vaste dos de l'océan. Je consens cependant à l'assister de mes conseils ; je consens encore à ne lui rien cacher de tout ce qu'il doit faire pour revoir sans danger la terre de sa patrie. »

Le céleste messager lui répond à son tour :

« Renvoie promptement Ulysse, et crains, ô déesse ! le ressentiment de Jupiter, afin que, dans l'avenir, ce dieu ne puisse se courroucer contre toi. »

En achevant ces paroles, le puissant Mercure s'éloigne. L'auguste nymphe, après avoir entendu les ordres de Jupiter, se rend auprès du magnanime Ulysse, qu'elle trouve assis sur le rivage de la mer. Les yeux du héros ne tarissaient point de larmes ; et la vie, qui nous est si douce, il la consumait dans la tristesse eu soupirant après son retour ; car la nymphe ne lui plaisait plus[1]). Durant la nuit il reposait, sans amour, auprès de celle qui l'aimait encore, dans la grotte profonde de la déesse Calypso. Durant le jour il était assis sur les rochers qui bordent la plage (là, livrant son

  1. Dugas-Montbel a fait un contre-sens eu traduisant ce passage : ἐπεὶ οὐκέτι ἥνδανε νύμφη (vers 153) par auquel la nymphe ne voulait pas consentir ; tandis qu'il faut dire : car la nymphe ne lui plaisait plus. Dugas-Montbel a suivi ici un mauvais texte (celui de Barnésius) qui n'a été adopté ni par Clarke, ni par Wolf, ni par Dubner, ni par Voss, ni enfin par les meilleurs com­mentateurs d'Homère.