Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/225

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riers vous ne resterez point malgré vous dans ma demeure. Mais vous avez encore un autre voyage à faire. Il faut que vous descendiez dans les sombres demeures de Pluton et de la terrible Proserpine pour y consulter l'âme du Thébain Tirésias, de ce devin aveugle dont l'intelligence est encore dans toute sa force. Proserpine accorde seul à Tirésias (quoiqu'il soit mort) un esprit pour tout connaître. Les autres habitants de cet empire ne sont que des ombres errantes. »

» Ces paroles me brisent le cœur. Je pleurais, étendu sur ma couche, et je ne voulais plus vivre ni revoir la lumière du soleil. Mais, après avoir soulagé mon âme en versant d'abondantes larmes et en me roulant sur le lit de la déesse, je prononce ces paroles :

« Ô Circé, qui m'enseignera cette route ? car nul, jusqu'à présent, n'est arrivé, sur un sombre navire, dans les ténébreuses demeures de Pluton ! »

» La déesse me répond aussitôt :

« Noble fils de Laërte, ne te mets pas en peine de trouver un guide. Dresse toi-même le mât de ton vaisseau, déploie les blanches voiles et assieds-toi : le souffle de Borée dirigera ton navire. Lorsque tu auras traversé l'Océan, tu trouveras une petite île[1] et le bois de Proserpine où croissent de hauts peupliers et des saules qui perdent leurs fruits ; alors tu tireras ton navire sur cette plage baignée par les eaux de la mer, et tu pénétreras dans les fangeuses demeures de Pluton. Là se précipitent dans l'Achéron le Pyriphlégéton et le Cocyte, le Cocyte qui s'échappe des eaux du Styx. Un rocher s'élève à l'endroit où ces fleuves mugissants se réunissent. Noble héros, quand tu seras près de ces bords, tu creuseras un fossé d'une coudée en tous sens ; autour de ce fossé tu feras des libations à tous les morts : la première sera faite avec le vin et le miel, la seconde avec un doux nectar, et la troisième

  1. Homère dit : ἀκτή τε λάχεια (vers 509) Eustathe et Apollonius expliquent λάχεια par : εὔγειος ἤ εὔσκαφος, et le dérivent de λάχαίνω (qui a de bonnes terres ou terres faciles à labourer). Mais Zénodote et Voss rendent ce mot par petite île, petit rivage. C'est l'opinion de ces deux derniers auteurs que nous avons suivie plus haut.