Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/247

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Memnon le plus beau de tous nos ennemis. Lorsque les chefs des Argiens entrèrent dans le cheval qu'avait construit Epéus, on me confia le soin d'ouvrir et de fermer cette vaste embuscade. Les chefs et les princes des Danaens essuyèrent leurs larmes, et tous leurs membres tremblèrent ; mais je ne vis jamais pâlir le beau visage de Néoptolème, et jamais il ne répandit de pleurs sur ses joues. Ce jeune héros me suppliait, au contraire, de le faire sortir de cette sombre retraite ; il saisissait souvent son glaive, sa lance chargée d'airain, et brûlait de porter la mort aux Troyens. Enfin quand nous eûmes ravagé la ville élevée de Priam, Néoptolème remonta dans son navire chargé de butin et de dons magnifiques ; il ne fut point frappé par les javelots ni par les lances, et il ne reçut aucune de ces blessures qui surviennent dans les combats lorsqu'au sein des mêlées Mars fait éclater ses fureurs. »

» À ces mots s'éloigne l'âme d'Ëacide à la course légère ; ce héros traverse à grands pas la prairie Asphodèle[1], charmé de m'entendre dire que son fils était un vaillant guerrier.

» D'autres ombres s'arrêtent tristes devant moi, et chacune d'elles me raconte ses douleurs. L'âme seule d'Ajax, fils de Télamon, se tient à l'écart. Ajax est encore irrité de la victoire que je remportai sur lui quand, près de nos navires, je lui disputai les armes d'Achille, que Thétis, sa vénérable mère, destina comme prix à celui qui en serait jugé digne par les fils des Troyens et par Minerve-Pallas[2]. Plût aux dieux que je ne l'eusse point vaincu dans cette lutte ! C'est à cause de ces armes que la la terre renferme un si noble héros, cet Ajax qui par sa taille et ses exploits

    Nous suivons, pour la traduction de ce passage, Dugas-Montbel, qui dit : « Faute de mieux, je m'en suis tenu à l'explication qui suppose que cette expression se rapporte à la promesse qu'avait faite Priam à Eurypyle de lui donner une de ses filles en mariage. » Mais, dit Strabon, de quelque manière qu'on explique cette phrase, elle n'en reste pas moins une énigme.

  1. La prairie Asphodèle était, aux Enfers, le lieu où se tenaient les ombres des héros. L'Asphodèle est une plante liliacée ; les bulbes de sa racine servaient autrefois de nourriture aux pauvres.
  2. Les petites Scholies nous apprennent qu'Agamemnon, ne voulant pas prendre sur lui de décider entre tous les héros qui se disputaient les armes d'Achille, s'en rapporta au jugement des prisonniers troyens.