Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/250

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épouvantés qui fuient de toutes parts. Hercule, semblable à la nuit sombre, jette de farouches regards; il tient son arc et il appuie le trait sur le nerf comme un guerrier prêt à lancer une flèche : un baudrier terrible, formé d'un tissu d'or, étincelle sur sa poitrine ; sur ce baudrier sont tracés de merveilleux travaux, des ours, des sangliers sauvages, des lions aux regards terribles, des combats, des mêlées, des meurtres, des homicides. L'ouvrier habile qui mit son art à façonner ce magnifique bau­drier n'a jamais rien enfanté et n'enfantera jamais rien de sem­blable. Bientôt Hercule me reconnaît; il me contemple atten­tivement, et, plein de compassion, il m'adresse ces paroles :

« Noble fils de Laërte, ingénieux Ulysse, tu es donc aussi sous le poids du terrible destin, comme je l'étais moi-même lorsque je voyais encore la brillante clarté du soleil ! Moi, fils de Jupiter, je fus accablé de maux sans nombre : je servis un homme bien inférieur à moi, et ce faible mortel m'imposa les plus rudes travaux ; il m'envoya même en ces lieux pour enlever le chien gardien des enfers, car il ne connaissait pas d'entreprise plus périlleuse. Pourtant je saisis le monstre et je le conduisis hors des sombres demeures : Mercure et Minerve avaient guidé mes pas. »

» En achevant ces mots, Hercule[1] disparaît dans le ténébreux séjour. Moi je reste là pour voir s'il viendrait encore quelques-uns des vaillants héros morts autrefois. J'aurais peut-être aperçu Thésée, Pirithoüs[2], et quelques guerriers de la noble race

  1. On prétend que le passage relatif à Hercule appartient à une époque plus moderne. Dugas-Montbel fait observer à ce sujet que toutes ces idées appartiennent à une mythologie posthomérique, de même que la doctrine des châtiments après la mort ; de sorte que les passages relatifs aux supplices de Tityus, de Tantale, de Sisyphe, etc., paraissent être d'évidentes interpolations.
  2. Plutarque prétendait que le vers où il est question de Pirithoüs avait été ajouté par Pisistrate. Knight supprime ce vers, et il motive sa suppression en disant : « Le vers de ce passage aura sans doute été intercalé par un rhapsode athénien. Le nom de Thésée n'était pas en grand honneur dans les temps homériques, car il n'en est jamais question dans l’Iliade, si ce n'est dans le vers 265 du premier chant, vers évidemment interpolé, et seulement une fois dans l’Odyssée, v. 321 de ce chant. De là on peut conclure que Thésée avait plutôt la réputation d'un chef de bande que d'un général. »