Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/31

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La déesse Minerve aux yeux étincelants lui répond en ces termes :

« Non, les dieux n'ont point voulu que ta race parvînt obscure à la postérité, puisque Pénélope a enfanté un fils tel que toi. Mais dis-moi et parle avec franchise : quel est ce festin ? Quelle est cette nombreuse assemblée ? Désires-tu ces choses ? Est-ce une fête ou une hyménée ? Car ce n'est point là un de ces repas où chacun apporte son tribut [1]. Ces audacieux convives semblent t'insulter jusque dans ton palais. Tout homme sage qui entrerait ici s'indignerait à la vue de tant d'indignités. »


Télémaque réplique à ces paroles :

« Étranger, puisque tu m'interroges en paraissant prendre part à notre situation, apprends que cette demeure aurait toujours été opulente et considérée si Ulysse fût resté parmi nous ; mais les dieux, méditant des maux cruels, en décidèrent autrement : animés à le poursuivre, ils voulurent qu'entre tous les hommes il terminât ses jours par une mort ignorée. Je pleurerais moins sa perte s'il eût succombé avec ses compagnons parmi le peuple des Troyens, ou dans les bras de ses amis, après avoir terminé la guerre. Maintenant tous les Grecs lui eussent élevé une tombe, et c'eût été pour son fils un grand honneur dans l'avenir : mais les Harpies [2] l'ont enlevé sans gloire. Il est mort sans qu'on l'ait vu, sans qu'on ait entendu sa voix, ne me laissant que la douleur et le deuil. Ce n'est pas pour lui seul que je pleure, car les dieux m'ont aussi réservé d'autres maux. Tous les chefs puissants qui règnent sur les îles de Dulichium, de Samé, de la verte Zacynthe, et tous ceux qui gouvernent l'âpre Ithaque, aspirent à la main de ma

  1. ) Ἐπεὶ οὐκ ἔρανος τάδε γ’ ἐστίν, dit Homère. Athénée (liv. viii. c. 16) explique ainsi ce passage: Ce que les anciens nommaient Ilapinai (ἐιλαπίναι) étaient des sacrifices où se trouvaient les plus brillants convives ; ceux qui participaient à ces festins somptueux se nommaient Ilapinastes (ἐιλαπινασταί). Quant aux fêtes nommées Eranoi (ἔρανοι), ce sont celles où chacun apportait son tribut.
  2. Les Harpies (αἱ Ἅρπθαι) étaient des êtres fabuleux sur lesquels les Grecs n'avaient aucune idée précise ; on donnait ce nom à tout ce qui volait ou courait; aussi appelait-on les tempêtes et les tourbillons des Harpies. Dans I'Odyssée, les Harpies figurent toujours comme déesses des tempêtes.