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― N°1382 ― Quotidien
Le Numéro : 5 centimes
Lundi 25 juillet 1904

L'Auto


Automobile-Cyclisme
Athlétisme, Yachting, Aérostation, Escrime, Poids et Haltères, Hippisme, Gymnastique, Alpinisme

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Le Circuit des Ardennes

La première journée

Les engins légers. — Motocyclettes, motocycles et voiturettes. — Belges et Français. — Veille de bataille.

Arlon, 24 juillet (dépêche de notre envoyé spécial). ― La première journée du Circuit des Ardennes s'est disputée aujourd'hui par un temps splendide, trop beau même, car la chaleur était par moments étouffante. On connait le programme de la journée qui était aux prises, sur cinq tours du petit circuit, soit 240 kilomètres, tous les véhicules légers, motocyclettes, motocycles, et voiturettes. Comme nous l'avions prévu, c'est la première catégorie qui a été la plus intéressante, et la plus disputée. Ce fut un véritable championnat entre la France et la Belgique. Nos voisins, je vous le télégraphiais, il y a un an déjà, à propos de ce même circuit, se sont fait une véritable spécialité de la motocyclette, dont leurs routes pavées et impraticables, bordées de trottoirs cyclables, ont fait ici une véritable nécessité. Aussi, accentuant encore cette année leurs progrès, les Belges ont-ils remporté aujourd'hui leur première victoire, dans une grande course internationale. De ce jour, nos voisins se posent donc en rivaux sérieux sur le marché international, que leurs habitudes et leurs relations d'exportation leur rendent particulièrement accessibles. Il importe donc que nos fabricants prennent une revanche, ils ont été particulièrement guignards, surtout avec leurs pneumatiques, et, sur cette route dure et qui s'est trouvée par surcroît riche en clous, les quatre cinquièmes de nos coureurs ont crevé et surtout les meilleurs. Il n'en reste pas moins que c'est une motocyclette belge qui a gagné dans un temps fort remarquable, avec une merveilleuse régularité. La marque « Minerva », d'Anvers, remporte aujourd'hui l'un des plus beaux succès qu'elle pouvait rêver. Elle a la première place avec Kuhling, la troisième avec Flamant, et ses cinq motocyclettes finissent toutes. Il serait puéril de ne pas le reconnaître, et injuste ne de pas l'en féliciter. Le vainqueur Kuhling est d'ailleurs un sportsman énergique et vaillant, gagnant des 24 heures d'Anvers à bicyclette, et recordman pour la Belgique. Bien classé dans Paris-Belfort à pied, son courage et sa volonté méritaient cette victoire. C'est la jeune marque française Alcyon qui a le mieux soutenu nos couleurs, avec le second Griel, encore un courageux qui marchait de tour en tour avec une régularité de pendule, et qui a, jusqu'à la dernière seconde, rendu la victoire indécise et n'est battu que de deux minutes. Anzani a bien fini, lui aussi, on peut compter désormais sur Alcyon dans les grandes marques, avec lesquelles il faut compter. Nos deux habituels champions, Griffon et Peugeot, ont été moins heureux. Demester, très bien placé au dernier tour, a été éliminé de la première place sans discussion par un éclatement. Les Peugeot ont galopé sur tout le lot au début. et Cissac a battu le record du tour, à plus de 80 de moyenne. Giuppone et Lionel ont été successivement éliminés par des crevaisons et une rupture du tuyau sur la mauvaise route. Parmi les guignards, à signaler aussi Antoine, qui a longtemps tenu la tête avec Kinet. Dans les grosses motocyclettes, les deux tricycles de Rigal et Pilette ont d'abord été éliminés, et c'est Tavenaux qui a facilement gagné. Il monte une Grégoire à moteur Griffon, l'ancienne machine de Demester, qui a été d'une incroyable régularité. C'est donc au fond une victoire française, sous marque belge. Il faut signaler aussi derrière lui, la Peugeot d'Ancel, qui fait aussi une belle course. La catégorie la moins disputée a été celle des voiturettes. Une seule Darracq est partie, celle d'Edmond : Corre est arrivé trop tard pour le pesage ; Clément fils était donc seul avec Edmond, il a triomphé avec la plus grande facilité, Edmond n'ayant jamais été bien en course. Albert Clément a été courageux, il a crevé je ne sais combien de fois sur des clous ; il a réparé, est reparti, et finalement, a terminé en un temps relativement excellent. C'est un courageux et un tenace que ce jeune homme silencieux et modeste, adroit et hardi, de la bonne école en un mot. L'organisation était bonne, tout s'est bien passé; malheureusement, la route était dure et pleine de clous. Aussi, honneur à tous ceux qui terminèrent, car la tâche fut rude. Parmi les personnes présentes, citons MM. Pierre de Crawhez, compte de Briey, gouverneur ; Eusch, bourgmestre d'Arlon ; Faider, Petit, de Liedekerke, de Hou, Deron, Ekhaudt, Sabbe, Hombach, Hautvast, notre administrateur Goddet, Tampier, Michaux, de Vos, Pisart, Bidaret, Clément, Guillelmon, Sicot, Godard, Longuemare, Richebois, Cuchelet, Antoine, Campion, de Jongh, Colignon, de Thier, Hulin, Wimille, Georges Bichat, de Lafreté, etc., etc. Les temps ont été pris par nos excellents amis de Beukelaer, Heirmann et Rotsaert qui, avec un grand dévouement, ont communiqué tout le calcul des temps. Toute la presse de Paris est représentée ; il y a ici une centaine de photographes. Que sera-ce demain ?

Veille de bataille

Bastogne, 24 juillet (par dépêche de notre envoyé spécial) ― Nous voici de retour à Bastogne, dans une ville enfiévrée, où deux milles chauffeurs, milles voitures et cinq mille personne forment un vrai caravansérail. Il y a ici tout un monde de connaissances. Comme je vous l'ai télégraphié hier, Evance Coppée ne peut pas courir sur Panhard ; il est possible qu'il monte sur une Mercedes, de Caters étant revenu à Ostende ; Jenatzy monte sa Pipe en place. Il y a sur la route beaucoup de poussière, malgré la goudrogénite.

Georges Prade

[...]

Le Tour de France 1904
2e année ― Organisé par L'AUTO ― 2e année

2 et 3, 9 et 10, 13 et 14, 16 et 17, 20 et 21, 23 et 24 Juillet


LA SIXIÈME ÉTAPE

LA FIN


Le « Tour de France » est terminé et sa seconde édition aura, je le crains bien, été aussi la dernière. Il sera mort de son succès, des passions aveugles qu'il aura déchaînées, des injures et des sales soupçons qu'il nous aura valus des ignorants ou des méchants. Et, pourtant, il nous avait semblé et il nous semble encore que nous avions édifié avec cette grande épreuve le monument le plus durable et le plus imposant du sport cycliste. Nous avions l'espoir chaque année avec elle de faire à travers la plus grande partie de la France un peu de bien sportif. Les premiers résultats de l'an passé étaient pour nous montrer que nous pensions juste : et nous voici à la fin du second « Tour de France » écœurés, découragés, ayant vécu ces trois semaines au milieu des pires calomnies et des pires injures..

Et de toutes celles qui ont rampé jusqu'à nous, il n'en est peut-être pas qui nous ait été plus sensible et qui ait affiché plus de puérilité et de sottise que celle qui a voulu faire de nous les associés, que dis-je ? les complices d'une des maisons qui ont pris part à la course. Le plus simple bon sens et la plus vulgaire dignité voulait que nous gardions notre indépendance dans une course où nous convoquions tous les constructeurs, que nous ne fassions pas le jeu de l'un au détriment des autres. Mais non! rien n'y a fait tous nos actes ont été dénaturés : la même punition infligée à un coureur a été traitée et comme une impitoyable rigueur et comme la plus insigne des faiblesses. Sévissions-nous : nous étions des barbares, ne sévissions-nous pas, nous fermions volontairement les yeux pour ne rien voir.

Puis le chauvinisme local s'en est mêlé. Nous avons ourdi un vaste complot contre Faure de Saint-Etienne : j'ai personnellement et sciemment déclassé Dortignac à Marseille et son manager prétend que j'avais plus de motifs pour le déclasser, ne le connaissant pas qu'il ne saurait en avoir lui qui le connaît pour l'avoir vu en premier à une arrivée à laquelle il n'assistait pas. À Bordeaux, c'est M. Ferrer, un sportsman cependant, qui fait abandonner la course à Beaugendre quatrième du classement général, sous prétexte que son homme a été gêné au dernier tour de piste et voici les esprits surexcités à Orléans et nous voici, nous obligés de faire à nos amis d'Orléans la peine de transformer le contrôle fixe de cette ville en contrôle volant pour que les coureurs n'aient pas à s'y arrêter.

J'allais oublier le scandale d'Alais : dès la seconde étape du Tour de France l'opinion s'accrédita que l'on pouvait et même que l'on devait se faire justice soi-même et nous avons vécu jusqu'à la fin de l'épreuve dans des transes perpétuelles que quelques brutes ne s'en prissent aux malheureux coureurs bien innocents cependant des prétendues injustices que l'on persistait à nous attribuer.

Si bien que nous avons fini par nous dire que si le rôle d'un journal comme le nôtre comprenait une part d'encouragement au sport à côté de l'information qui doit être notre objectif principal, notre dévouement n'était plus obligatoire le jour ou la passion populaire nous remerciait par l'injure et par la calomnie d'une organisation qui demande pendant plus de six mois d'efforts persévérants et journaliers, le jour où la sûreté des coureurs était menacée par des énergumènes qui nous accusaient seulement de ne pas jugé selon leurs passions et leurs intérêts particuliers.

Nous laisserons donc à d'autres provisoirement le soin d'affronter des aventures semblables au « Tour de France » et nous étudierons pour l'an prochain ce qu'il y a lieu de faire dans d'autres ordres d'idées. Aussi bien d'ici là l'opinion publique se modifiera-t-elle : peut être le dégoût qu'ont inspiré à tout le monde les fraudes des dernières courses sur route fera-t-il son œuvre salutaire ; peut-être prendra-t-on l'habitude de se borner à voir la fraude là ou elle est et non pas partout et surtout là où elle n'est pas. J'en aurai fini avant de venir aux résultats de la course en affirmant que si nous n'avons pas réprimé toutes les fraudes qui ont eu lieu dans le « Tour de France », nous avons puni toutes celles dont nous avons eu la preuve évidente ; et par preuve évidente j'entends non pas l'accusation sans fondement, d'un concurrent ou d'un ignorant ou d'un intéressé. J'ajouterai même qu'il est encore temps pour nous de punir toutes colles dont on nous apporterait la preuve, car le registre des réclamations est encore ouvert pendant trois jours.

Ceci dit, je puis examiner les résultats principaux de la course : Maurice Garin gagne pour la seconde fois le « Tour de France » suivi à quelques secondes par Pothier également second l'an passé : le troisième est encore un Garin, un jeune frère de Maurice. On sait de longue date avec quelle ardeur la Société la Française dont ces trois coureurs montent les machines dispute les courses cyclistes et surtout les grandes épreuves sur route. Il n'est pas douteux que nous ne lui devions, à une époque où tous les constructeurs délaissaient les luttes de la route, que nous ne lui devions de les avoir conservées et le succès est venu souvent à récompenser des sacrifices très nombreux qu'elle sut toujours s'imposer.

Tout en la félicitant d'un si gros succès que ses trois champions étaient parfaitement capables de remporter par leur valeur, je veux lui adresser un reproche tout amical : c'est celui d'avoir confié l'organisation de leurs étapes du « Tour de France » à quelqu'un trop mêlé précédemment aux événements fâcheux qui accompagnaient toujours les courses sur route, n'ayant pas le calme ni l'indépendance de caractère, ni la clairvoyance qu'il fallait pour comprendre qu'une nouvelle situation était née du dégoût des fraudes dans les courses sur route.

Ce mandataire, que je ne désigne pas autrement, car tous ceux qui touchent aux courses sur route le connaissent parfaitement a été, je ne crains pas de le dire, d'une insigne maladresse. Persuadé que les fraudes allaient recommencer comme précédemment, il a pris ses précautions non seulement pour s'en défendre mais encore, je n'en jurerais pas, pour y répondre aussi. Il a, tout le long de la route, côtoyé le règlement, donné l'impression qu'il était partisan de l'axiome qu'il n'est jamais défendu de mal faire, mais seulement de se faire prendre. N'exagérons rien. il n'a rien eu à son actif, je n'ai pas reçu de plainte sur lui et je ne crois pas qu'il ait mal fait. Mais il a accumulé sur la tête des coureurs qu'il avait mission de défendre dans les contrôles toutes les colères et toutes les haines et du public et de leurs adversaires. C'est lui que l'on voyait partout et, par une injustice bien humaine, même où il ne pouvait pas être.

Je lui ferai encore un autre reproche et, à mon sens, plus grave : celui d'avoir réservé ses faveurs à Maurice Garin, d'avoir donné au jeune Garin et à Pothier l'impression qu'ils devaient s'effacer devant l'ancêtre qu'était Maurice Garin et les deux malheureux ont fait toute la course en s'accrochant désespérément à Maurice, c'est-à-dire là où était le salut. En France, dans le sport cycliste, nous n'aimons pas, c'est peut- être un manque d'habitude, la désigna-