Cavour, président du conseil, répond que le traité du 24 mars rentre dans notre système politique, mais qu’il serait trop long de le justifier. Il se renferme dans les généralités, dans les nécessités de la politique; il justifie le traité du 24 mars avec l’étonnante facilité d’élocution qu’on lui connaît; il rappelle l’exemple du Parlement anglais dans le traité de commerce, le vote de l’Italie centrale et promet les plus larges explications quand le traité se présenté à la Chambre, après le vote.
Laurenti-Roubaudi, député de Nice, 2ème collège, entreprend de développer la longue série des souffrances endurées par le peuple de Nice. Il reproche au gouvernement de n’avoir pas destitué le gouverneur Lubonis pour sa révoltante proclamation aux peuples de la ville et du Comté de Nice qui finit par les cris de vive la France, vive l’empereur, puis celle du syndic de Nice, non moins servile. Il en donne lecture. (Rumeurs dans les tribunes.) Il reprend:
Ces proclamations insultent au roi, à la Constitution, qu’elles foulent aux pieds; au Parlement qu’elles méprisent; au peuple qu’elles offensent; à la religion de la patrie qu’elles outragent. (Applaudissements des tribunes.)
Il donne ensuite lecture des manifestes du gouverneur et du syndic qui règlent le mode du vote. Il fait ressortir avec énergie les garanties dérisoires qu’offre ce prétendu plébiscite, et il expose l’état déplorable de Nice, travaillée par la police française et épouvantée par l’incroyable pression qu’on y exerce en plein jour. Il rappelle que le Nizzardo vient d’être séquestré et continue ainsi: «Députés des Romagnes, de Toscane, de Modène, de Parme, je fais appel à vos sentiment d’honneur, à votre conscience; avez-vous voté pour l’annexion italienne de la manière qu’on veut faire voter à Nice? (Une foule de voix: non! non!)
Permettrez-vous donc qu’un pays italien qui, lui aussi, a versé son sang pour la cause que nous soutenons tous, n’ait pas les même avantages que vous avez eu? J’espère que non.
Il rappelle ensuite les promesse faites et les manières dont on les tiens envers Nice; il présente une proposition annulant le vote du 15 et blâmant les actes du gouvernement provisoire comme lésant la liberté du vote et passant à l’ordre du jour, — il termine, épuisé, son long discours par ces mots: «Je n’ai pas la force de défendre ni de soutenir ma proposition; je fais appel aux sentiments d’honneur du premier Parlement italien et j’attends, tranquille, sa décision.» (Bravo, bien.)
Mellana compatit aux douleurs et aux souffrance de l’infortunée Nice, et blâme sévèrement le président du conseil d’avoir violé le Statut.
Selon la Constitution, le pouvoir exécutif peut bien stipuler des traités, mais il ne peut en aucune manière leur donner exécution avant la sanction du Parlement, ni par ses actes, amoindrir la liberté de notre vote.
Je ne trouve pas de terme pour stigmatiser dignement la proclamation par laquelle on conseille à la couronne de délier les Niçards et les Savoisiens du lien de fidélité, et l’autre fait encore plus grave, d’appeler ces populations à émettre un vote contraire à la Constitution.
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Les peuples de peuvent décider de leur sort et de leur gouvernement par le vote universel que dans deux circonstances.
La première est celle d’une réunion triomphante, quand le peuple est rentré dans la plénitude de ses droits, et tel était le cas de la Toscane et de l’Emilie, lesquelles, abandonnées par leurs gouvernements, reprirent leur souveraineté et votèrent d’une manière honnête et sincère, parce qu’elles avaient la conscience de leur droit; (bravo, benè!) l’autre circonstance est celle où les peuples sont autorisés par la souveraineté à choisir la forme de gouvernement qui leur convient le mieux, ou le nouvel État auquel il tendent à s’unir.
Cette souveraineté existe dans le prince seul sous les gouvernement absolus; dans les États constitutionnels elle se divise entre le prince et le peuple, lequel exerce sa souveraineté par le moyen de ses mandataires réunis en Parlement.
Or, notre gouvernement a agi inconstitutionnellement en signant le traité néfaste du 24 mars. Pour que ce traité soit valide, pour que les Niçards et les Savoisiens puissent être appelés à voter, il faut le vote du Parlement qui partage la souveraineté avec la couronne.
Le président du conseil, je le dis à son honneur soutenait dans une note diplomatique au gouvernement français, les mêmes principes que nous, c’est-à-dire que le vote des populations n’aurait lieu qu’après le vote du Parlement. Il est vrai que l’Europe n’a pas connu cette réserve constitutionnelle parce qu’elle n’a pas été imprimée dans la Feuille officielle de l’empire français, nous ne connaissons pas la raison de cette soustraction, et M. de Cavour pourrait seul la donner.
Mais le président du conseil, au lieu de protester contre la soustraction faite par le Moniteur, semble avoir modifié ses idées, car il soutient une doctrine différente, et il parle du mode de vote à Nice et en Savoie.
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Quelle est la loi qui règle le vote universel chez nous?
(En avouant que la Savoie est française, il le nie pour Nice).
L’honorable président du conseil disait que la question de Nice est liée à toute la question italienne. Etait-ce une menace pour nous? Etait-ce dire que l’intérêt préside à cet acte au lieu de la raison et du droit? S’il en était ainsi, je dirai à nos frères de l’Olona, du Tanaro et de l’Arno, que nous, réduits à 4000, avec l’ennemi triomphant sur la Sésia, l’ennemi campé sur les rochers d’Alexandrie, nous avons su refuser de signer le traité qui rejetait une province italienne sous la puissance autrichienne. (Applaudissements de la Chambre et des tribunes.)
Nous trouvâmes dans la conscience de notre droit la force d’accomplir cet acte, et cet acte ne fut pas sans profit pour la cause italienne. Nous représentons aujourd’hui onze millions d’Italiens, et ce ne sera certes pas la peur qui nous fera dévier des principes qui doivent constituer la patrie italienne.
L’orateur distingue la question de Nice de celle de Savoie et propose l’ordre du jour suivant: La chambre, vu qu’on ne peut passer au vote des populations avant que le Parlement ne se soit prononcé sur le traité du 24 mars, passe à l’ordre du jour.
Farini, ministre de l’Intérieur répond particulièrement à Laurent Roubaudi et entre dans quelques explication assez peu concluantes sur plusieurs point touchant la liberté du vote à Nice.
Chenal. Je me bornerai à traiter ce qui s’adresse aux principes de l’indépendance de mon pays, que je crois méconnue par la manière dont il est appelé à manifester sa volonté.
Une nation, ou même une fraction de nation, peut-elle être cédée au bénéfice d’une autre nation? Qui oserait le soutenir? Ce serait là une tradition barbare des plus mauvais jours du système féodal, que l’honneur italien ne peut que répudier.
Si un peuple s’appartient, il est maître de ses destinées, de son territoire, il n’est au pouvoir de personne d’en faire un objet de mercantilisme, d’en disposer comme d’une chose, de l’assimiler à une marchandise.
Si ce droit est antérieur à une dynastie qui n’est jamais que passagère; s’il lui survit, les mots de maître et de sujet que l’on emploie improprement pour désigner les rapports des princes et des peuples, sont loin d’infirmer l’indépendance et la souveraineté de ces derniers.
Il ne suffit pas même d’une langue, du versant de quelques rivières, d’une frontière plus ou moins ouverte pour légitimer l’annexion d’un peuple à un autre. À ce titre, la Suisse romane aurait plus de raison de réclamer tout ce qui est en deçà du Jura, que la France n’aurait le droit de s’emparer de Genève, du canton de Vaud et de Neuchâtel; la France pourrait