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Anecdotes.

tait celui qui marchait le premier en avant, pouvait descendre de sa mule. Des Maures en vinrent bientôt aux injures ; ils menacèrent les Juifs de les précipiter au fond de l’abîme : quoique ces derniers fussent alors traités en esclaves, et contraints de supporter toutes sortes d’indignités et d’insultes ; néanmoins, se trouvant dans une situation si périlleuse, et peu curieux de se rompre le cou pour le bon plaisir des Maures, celui qui se trouvait le premier descendit avec précaution par dessus la tête de sa mule. Il était armé d’un gros bâton : le Maure le plus près de lui l’ayant imité, s’avance pour l’attaquer avec son cimeterre. Tous deux combattaient pour leur vie, dans l’impossibilité de battre en retraite. La mule du Juif fut la première précipitée ; et ce dernier voyant son bâton haché par le cimeterre du Maure, et bien convaincu qu’il ne pouvait sauver sa vie, saisit son adversaire à brasse-corps, et sautant dans le précipice, ils furent dans un instant brisés et perdus sans ressource. Deux autres Juifs et un Maure, ainsi que huit mules périrent de la même manière ; et les trois autres Juifs qui avaient eu le bonheur d’échapper, furent tués par les parens des Maures péris au passage. Depuis ce tems, cet endroit a reçu le nom de Saut du Juif. La vue seule de ce funeste lieu suffit pour causer un vertige au matelot le plus intrépide ; et si l’on m’eût raconté cette histoire avant d’entrer dans cet effrayant passage, je ne suis pas certain que mon imagination n’eût point troublé mes facultés morales, au point qu’il m’eut été impossible de le traverser avec assurance. »


Mr. J. Lambert rapporte dans son Voyage en Canada une aventure singulière et intéressante de deux jeunes demoiselles Canadiennes. Il est dangereux, dit cet écrivain, de pénétrer un peu avant dans les forêts du Canada, lorsqu’on n’est pas accompagné d’un guide, ou qu’on ne connait pas suffisamment les routes ; et il est arrivé à quelques personnes de périr à peu de distance de leurs habitations. Il y a quelques années, (il écrivait en 1809,) deux jeunes demoiselles qui étaient en visite chez Mr. Nicholas Montour, ci-devant de la Compagnie du Nord-Ouest, et qui résidait alors à la Pointe du Lac, près des Trois-Rivières, entrèrent, un matin, après déjeuné, dans un bois situé sur les derrières de la maison, pour se régaler de fraises et autres fruits qui y viennent en abondance, et qui étaient alors dans leur plus parfaite maturité. L’une d’elles avait à la main un joli roman qu’elle lisait à l’autre ; et elles étaient si charmées de leur lecture, et des beautés champêtres qui les environnaient, qu’elles ne pensèrent point à aller dîner. Elles continuèrent donc à errer ainsi çà et là, tantôt occupées des charmes du roman, et tantôt s’amusant à cueillir les fruits qui étaient répandus à leurs pieds en profusion, ou qui pendaient en grappes audessus de leurs têtes ; mais à la fin, le soleil qui baissait, les avertit qu’il était déjà tard dans l’après-midi.