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façon trop délicate et mignarde pour les abandonner au grossier et pesant air d’une si malplaisante saison ». Montaigne s’exprimait ainsi en 1570[1], et la manière dont les protestants publièrent, peu après, des fragments du Contr’un, dans le Réveille-matin des François lui montra qu’il avait vu juste.

Nous sommes donc réduits aux conjectures. Était-ce un rapport, fait en sa qualité de conseiller, dans lequel La Boétie exposait les résultats de sa mission avec Burie et les conclusions qu’il apportait de l’examen des faits ? Était-ce la discussion dogmatique des privilèges accordés aux partisans de la religion réformée ? Était-ce plutôt le récit des troubles qui suivirent de près la proclamation de l’édit de Janvier ? Le titre que Montaigne énonce semble le faire croire. La Boétie magistrat devait y apprécier avec une sage impartialité les actes des huguenots et des catholiques, et c’est là sans doute ce qui nous a fait perdre son œuvre, négligée par Montaigne. Cette sage opinion mécontenta les uns sans satisfaire les autres. Les Mémoires de nos troubles, composés par un esprit plus sage, ne purent servir d’armes aux partis, comme la Servitude volontaire. Nul ne se soucia d’un avis qu’il ne voulait pas suivre.

Les temps n’étaient pas faits pour apprécier et comprendre les sentiments libéraux. À part quelques hommes d’élite, L’Hospital, Montaigne, La Boétie et un petit groupe de penseurs, personne ne s’occupait des droits de la conscience. Sous ses apparences de modération, l’édit de Janvier lui-même n’était, de la part de la reine, qu’une habile manœuvre, une mesure transitoire destinée à cacher les desseins d’une politique moins patiente. Catherine s’en explique assez clairement, dans sa correspondance avec ses ambassadeurs. Si elle tentait d’employer la douceur, après tant d’autres moyens essayés sans succès jusque-là, c’était « pour cuyder vaincre la maladie par gratieux remèdes ». Plus reine que catholique, Catherine de Médicis faisait passer la raison d’État avant la religion. Sa condescendance envers les hérétiques était intéressée : elle les supportait parce qu’elle croyait que la violence les rendait moins traitables, et qu’elle ne se sentait pas assez forte pour leur imposer le respect de son autorité.

Bien que nous ne connaissions pas l’œuvre de La Boétie, nous pouvons ailîrmer que sa tolérance avait des motifs différents. Nous savons ce qu’il pensait de la Réforme, et suppléons ainsi, dans une certaine mesure, à l’ouvrage perdu. En quelques endroits de

  1. Voy. ci-dessous Avertissement au Lecteur, p. 61.