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célèbre de jarnac et de La Châtaigneraie, auquel assistèrent le roi et la favorite ? La discussion sur ce point risque fort de demeurer stérile.

J’ajouterai que La Boétie ne pouvait pas écrire de la sorte. Croire que la Servitude volontaire fut une protestation indignée contre le connétable, et la prendre pour une diatribe révolutionnaire, c’est établir entre les actes et les paroles de La Boétie une divergence qui n’existe pas. Durant toute sa vie publique, La Boétie fut l’ennemi de l’émeute et il ne se refusa point à la réprimer, chaque fois que ses collègues du Parlement l’y appelèrent. Si sa conscience de magistrat lui faisait entrevoir la réforme politique, il la souhaitait profonde, mais amenée par des moyens honnêtes, basée sur de justes revendications. Ainsi que le Dr Payen l’a remarqué, le Contr’un manque de conclusion. Pour faire un pamphlet et pour être logique avec son œuvre, conçue dans ce sens, La Boétie aurait dû conclure au régicide, comme Milton y conclura plus tard[1]. Le XVIe siècle, lui aussi, ne recula jamais devant cette conséquence : protestants comme Languet, Hotman ou Buchanan, catholiques comme Bodin, nul n’y contredit. Le meurtre est louable, quand il fait disparaitre un tyran dont le pouvoir est inique et que sa vie met en danger ses milliers de sujets. C’est ce que demandait la rectitude du raisonnement et ce que l’antiquité admit tout entière. La Boétie s’est écarté formellement ici des opinions grecques et romaines. Effrayé d’aussi horribles conséquences, il n’a pas tiré de conclusion, car c’eût été donner, par avance, le plus formel démenti à sa conduite, complètement consacrée à sauvegarder la justice et la paix[2].

Comme remède à cet état de choses qu’il déplore, il proposera un moyen puéril, où l’on a trop vu son inexpérience politique, mais où je retrouve surtout l’honnêteté de son caractère et la pureté de ses intentions. Sa pensée en écrivant était bien celle

  1. Notamment dans le traité qu‘il publia en février 1649 sur « la responsabilité des rois et des magistrats, où l’on prouve qu’il est et a toujours été légitime pour ceux qui ont en main le pouvoir, d‘interroger un tyran ou un méchant roi, et, son crime une fois prouvé, de le déposer et de le mettre à mort, si les magistrats ordinaires ont négligé ou refusé de le faire. » (Londres, in-4o). On en trouvera l’analyse dans l’étude de M. Geffroy sur les Pamphlets politiques et religieux de Milton, p. 120.
  2. Au bas du titre d’un recueil d’ordonnances, qui aurait pu lui servir quand il se trouvait encore sur les bancs de l’école, M. Benjamin Fillon a relevé la signature d’Estienne de La Boétie, précédée des trois mots : Pax et Lex. Faut-il voir dans cette formule une devise que La Boétie inscrivait au commencement de ses volumes et dont il voulait se faire à lui-même une règle de conduite ? S‘il en était ainsi, cette petite découverte viendrait confirmer la thèse que nous soutenons. L’écriture, il est vrai, diffère assez sensiblement des autres autographes connus de La Boétie pour que l’authenticité de cette mention soit absolument démontrée. (Benjamin Fillon, La devise d’Estienne de La Boétie et le juriste fontenaisien Pierre Fouschier, 1872, in-8o.)