Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/395

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Le lendemain de bien bon matin, voicy venir vn de ses gents à moy de la part de Madamoiselle de la Boëtie, qui me mandoit qu’il fveftoit fort mal trouué la nuiél d’vne forte , 40 dissenterie. Elle enuoyoit querir vn medecin & vn apoti- quaire, & me prioit d’y aller, c_omme ie lis l’apres disnée. A mon arriuée, il sembla qu’il fust tout esîouy de me voir, & comme ie voulois prendre congé de luy pour m’en reuenir, & luy promisse de le reuoir le lendemain, il me pria auec 45 plus d’affection & d’instance qu’il n’auoit iamais fait d’autre chose, que ie fusse le plus que ie pourrois auec luy. Cela me toucha aucunement. Ce neantmoins ie m’en allois quand Madamoiselle de la Boëtie, qui preiïentoit deiià ie ne fçay quel malheur, me pria les larmes à l’œil, que ie ne bougeaffe 50 pour ce foir. Ainû elle m’arrefta, de quoi il fe reiiouït auec moy. Le lendemain ie m’en reuins; & le ieudy, le fus retrouuer. Son mal alloit en empirant : Ion flux de fang & fes tranchees qui l’aH`oibliffoient encores plus, croiffoient d’heure à autre. 55 Le vendredy, ie le laiiïay encores : & le famedy, ie le fus reuoir defià fort abbatu. Il me dit lors, que fa maladie eftoit vn peu contagieufe, & outre cela, qu’elle estoit mal plaisante, & melancholique: qu’il cognoiffoit tresbien mon naturel, & me prioit de n’eitre auec luy que par boutees, mais le plus 60 fouuent que ie pourrois. Ie ne Pabandonnay plus. Iufques au dimenche il ne m’auoit tenu nul propos de ce qu’il iugeoit A de fon eltre, & ne parlions que de particulieres occurrences de fa maladie, & de ce que les anciens medecins en auoient dit. D’affaires publiques, bien peu; car ie l’en trouuay tout 65 degoulté dés le premier iour. Mais le dimenche, il euil vne grand’ foibleffe : et comme il fut reuenu à foy, il dit qu’il luy auoit femblé eltre en vne confufion de toutes chofes, & n’auoir rien veu qu’vne efpeffe nuë & brouillart obfcur, dans lequel tout eftoit pelle-meile & fans ordre : toutesfois yo qu’il n’auoit eu nul defplaifir à tout cet accident. La mort n’a rien de pire que cela, luy dis-ie lors, mon frere. — Mais ’ n’a rien de ü mauuais, —— me respondit-il.