Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/397

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LETTRE DE MONTAIGNE 3 1 I vnicquement, & qui porteront bien impatiemment (i’en fuis affeuré) la perte qu’ils feront en moy, qui de vray eft bien grande pour vous & pour eux. I’ay aufii refpeét au defplaiiir 40 que auront beaucoup de gens de bien qui m’ont aymê & eitimé pendant ma vie, defquelz certes, ie le confeiïe, fi ` c’eitoit à moy à faire ie ferois content de ne perdre encores la conuerfation. Et û ie m’en vais, mon frere, ie vous prie, vous qui les cognoiffez, de leur rendre tefmoignage de la 45 bonne volonté que ie leur ay portee iufques à ce dernier terme de ma vie. Et puis, mon frere, parauenture n’eftois-ie point né li inutil, que ie n’euffe moyen de faire feruice à la chofe ' publicque? Mais quoy qu’il en foit, ie fuis preft à partir quand il plaira à Dieu, eftant tout affeuré que ie iouïray de ` 50 l’aife que vous me predites. Et quant à vous, 1non amy, ie vous cognois ii fage, que, quelque intereit que vous y ayez, ii vous conformerez vous volontiers & patiemment à tout ce qu’il plaira à fa fainéte Maiefté d’ordonner de moy, & vous fupplie vous prendre garde que le deuil de ma perte ne 55 poulfe ce bon homme & cette bonne femme hors des gonds de la raifon. » Il me demanda lors comme ils fvy compor- toient delià. Ie luy dis que affez bien pour Pimportance de la chofe: « Ouy (fuyuit-il) à cette heure qu’ils ont encore vn peu d’efperance. Mais fi ie la leur ay vne fois toute oftee, 60 mon frere, vous ferez bien empefché à. les contenir. » Suiuant ce refpeét, tant qu’il vefcut depuis, il leur cacha touüours l’opinion certaine qu’il auoit de fa mort, & me prioit bien fort d’en vfer de mefme. Quand il les voyoit aupres de luy, il contrefaifoit la chere plus gaye & les paiffoit de belles 65 efperances. · Sur ce point ie le lailïay pour les aller appeler. Ils com- poferent leur vifage le mieux qu’ils peurent pour vn temps. Et apres nous eltre aflis autour de fon liét nous quatre feuls, il dit ainü d’vn vifage pofé & comme tout eûouy: « Mon 70 oncle, ma femme, ie vous alïeure fur ma foy, que nulle nouuelle attainte de ma maladie ou opinion mauuaife que i’aye de ma guerifon, ne m’a mis en fantailie de vous faire