Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/399

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LETTRE DE MONTAIGNE 313 vous m’auez rendu reciproque alïeétion, que ie ne fçaurois affez recognoiltre. le vous prie de prendre de la part de mes biens ce que ie vous donne, SL vous en contenter, encores 40 que ie fçache bien que c’eft bien peu au pris de vos merites.» Et puis, tournant fon propos à moy: « Mon frere, dit-il, que i’ayme ii cherement & que i’auois choify parmy tant d’hommes, pour renouueller auec vous celte vertueufe & iîncere amitié, de laquelle Pvfage elt par les vices dés Ii long 45 temps efloigné d’entre nous, qu’il n’en refte que quelques vieilles traces en la memoire de l’antiquité, ie vous fupplie pour fîgnal de mon afïeétion entiers vous, vouloir eftre fuc- ` ceffeur de ma bibliothecque ·& de mes liures que ie vous donne : prefent bien petit, mais qui part de bon cueur, & 50 qui vous eft conuenable pour l’afi"eétion que vous auez aux Lettres. Ce vous fera p.·mu6¤uv:-w mi fodalis. » Et puis, parlant à tous trois generalement, loua Dieu, · clequoy en vne li extreme necellité, il fe trouuoit accompagné de toutes les plus cheres perfonnes qu’il euit en ce monde; 55 & qu’il lui fembloit tres beau à voir vne affemblee de quatre ii accordants & li vnis d’amitié, faifant, difoit-il, eftat, que nous nous entraymions vnanimement les vns pour Pamour des autres. Et nous ayant recommandé les vns auxjautres, il fuyuit ainli: « Ayant mis ordre à mes biens, encores me 60 faut il penfer à ma confcience. Ie fuis chreftien, ie fuis catholique: tel ay vefcu, tel fuis ie deliberé de clorre ma vie. Qu’on me face venir vn preftre; car ie ne veux faillir à ce dernier deuoir d’vn chreltien. » Sur ce poinét il finit fon propos, lequel il auoit continué 65 auec telle aiïeurance de vifage, telle force de parolle & de voix,que_là où ie l’auois trouuê, lorfque i’entray en fa cham- ` bre, foible, traînant lentement les mots, les vns apres les autres, & ayant le pouls abbatu comme de fiéure lente, & * tirant à la mort, le vifage palle & tout meurtri, il fembloit 70 lors qu’il vint, comme par miracle, de reprendre quelque nouuelle vigueur: le taint plus vermeil & le pouls plus fort, de forte que ie luy fis tafter le mien pour les comparer 40