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et reprocher les mêmes défauts à ceux qui, de nos jours, ont soutenu des paradoxes philosophiques et politiques sur l’égalité des conditions, le despotisme, etc. » Certes, ces restrictions seraient assez justes, si l’auteur avait loué davantage et la fermeté de la langue de La Boétie et la netteté toujours si grande de son expression. Il importe d’ajouter que cette opinion défavorable de M. de Paulmy tranche assez avec les opinions du moment. Il était de mode alors, dans toutes les classes de la société, de se montrer plus indulgent pour les réformateurs politiques, et cette sentence ne fut peut-être bien que l’expression d’un jugement personnel.

Bientôt les temps s’assombrirent. Aux jours d’émeute, on cherche à faire arme de tout : des pavés des rues comme des œuvres du passé. Le Contr’un n’échappa pas à la destinée commune. Au milieu de la Révolution, on le rendit à la lumière, rajeuni, commenté et adapté aux besoins de l’heure présente[1]. Plus tard, La Boétie servit au même usage. M. de Lamennais l’édita, en le faisant précéder d’une préface violente[2] et son exemple fut suivi par d’autres[3]. C’était rabaisser un des monuments de la langue française, en l’employant aux attaques des partis. Il y a plus encore. Ceux qui, sur de semblables traces, veulent faire de La Boétie un des précurseurs des révolutions modernes, un fauteur de discordes, et voient dans son éloquent libelle le symbole des revendications sociales, mécormaissent à la fois sa vie et sa pensée. Lire ainsi la Servitude volontaire, c’est la lire à rebours, comme les sorciers lisaient la messe quand ils la célébraient en l’honneur du diable.

  1. On le publia deux fois en 1789 et 1790, après l’avoir traduit en langage moderne pour le faire servir aux passions du jour. Voici le titre exact de ces deux publications : Discours de Marius, plébéien et consul, traduit en prose et en vers français du latin de Salluste ; suivi du discours d’Étienne de La Boëtie, ami de Montaigne et conseiller au Parlement de Bordeaux, sur la Servitude volontaire, traduit du françois de son temps en françois d’aujourd’hui, par L’Ingénu, soldat dans le régiment de Navarre (d’après Barbier, pseudonyme de M. Lafite, avocat). S. l., 1789, in-8o de 144 p . (Le discours de Boétie est précédé d’une préface curieuse à bien des égards.) — L’ami de la Révolution ou Philippiques dédiées aux représentants de la nation, aux gardes nationales et à tous les Français. (La huitième philippique contient en supplément un Discours sur la servitude et la liberté extrait d’Étienne de La Boëtie, pp. 137-143.) 1790-91, 57 numéros in-8o.
  2. On trouvera ci-dessous des renseignements bibliographiques sur l’édition de Lamennais et sur celle de Charles Teste, à laquelle il est fait allusion.
  3. Il en fut de même en 1852 et l’on accommoda le Contr’un en vengeur du coup d’État de décembre. Voy. Tyrannie, usurpation et servitude volontaire, trois extraits d’Alfieri, de Benjamin Constant et d’Estienne de La Boétie, publiés par A. Poupart (Bruxelles, 1852, in-12).