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DIALOGUES SUR LE QUIÉTISME.

La pénitente. Hélas ! mon Père, il n’y a pas autre chose !

Le directeur. Tant mieux, ma chère fille, et je ne vous dissimule pas qu’à voir vos larmes et le désordre de votre visage, j’appréhendois fort qu’il ne vous fût arrivé pis. Ditesmoi, je vous prie, dans cet effort que vous dites que vous avez fait pour vous ressouvenir de vos péchés, et qui est peut-être la cause du trouble qui vous est arrivé, vous êtes-vous trouvée coupable de quelque défaut ? Avez-vous reconnu que vous fussiez tombée en quelque égarement ?

La pénitente. Oui, mon Père, et c’est ce qui me portoit à recourir à la confession.

Le directeur. Etrange force de l’habitude et de la coutume, lors surtout qu’elles ont leurs racines dans notre première éducation ! Cétoit précisément. Madame, à quoi vous ne deviez pas songer. Vous ne pouvez vous imaginer de quelle importance il est pour une âme qui tend à la perfection, de ne se point inquiéter de ses défauts. Il suffisoit* après cet examen de l’état de votre conscience, que vous auriez dû même vous épargner, de vous ramasser au dedans, attendre et souffrir la pénitence que Dieu vous auroit voulu imposer lui-même, et rien davantage, sans faire pendant cette semaine de Pâques aucunes prières vocales, sans vous imposer aucune mortification.

Apprenez, ma fille, que les prières qu’on se tue de dire, et les pénitences qu’on s’impose, ne sont point des causes naturelles de la grâce*, mais seulement des instruments accommodés à notre foiblesse, qui amusent et soutiennent notre imagination plutôt qu’elles ne contribuent à la sanctification de notre âme. L’oraison de simple présence de Dieu est de mille degrés au-dessus du Veni Creator et du psaume Mise-

a. Il y a suffiroit dans l’ancienne édition ; c’est très-probablement une faute d’impression.

I. « Sans une révélation, on ne peut savoir qu’il y ait un degré de grâce attaché [à] l’oraison. » (Malaval, Pratique facile.) « … Je dis qu^il ne faut point se fixer à telles et telles austérités ; mais suivre seulement l’attrait intérieur en s’occupant de la présence de Dieu, sans penser en particulier à la mortification. » {Moyen court ^ g x, p. 40.)