Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/90

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ceux que l’on vient de déduire, mais encore du mérite d’un nombre infini d’autres qui ne sont point venus jusqu’à nous.

Que si quelques-uns se refroidissaient pour cet ouvrage moral par les choses qu’ils y voient, qui sont du temps auquel il a été écrit, et qui ne sont point selon leurs mœurs, que peuvent-ils faire de plus utile et de plus agréable pour eux que de se défaire de cette prévention pour leurs coutumes et leurs manières, qui, sans autre discussion, non seulement les leur fait trouver les meilleures de toutes, mais leur fait presque décider que tout ce qui n’y est pas conforme est méprisable, et qui les prive, dans la lecture des livres des anciens, du plaisir et de l’instruction qu’ils en doivent attendre ?

Nous, qui sommes si modernes, serons anciens dans quelques siècles. Alors l’histoire du nôtre fera goûter à la postérité la vénalité des charges, c’est-à-dire le pouvoir de protéger l’innocence, de punir le crime, et de faire justice à tout le monde, acheté à deniers comptants comme une métairie ; la splendeur des partisans, gens si méprisés chez les Hébreux et chez les Grecs. L’on entendra parler d’une capitale d’un grand royaume où il n’y avait ni places publiques, ni bains, ni fontaines, ni amphithéâtres, ni galeries, ni portiques, ni promenoirs, qui était pourtant une ville merveilleuse. L’on dira que tout le cours de la vie s’y passait presque à sortir