Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/135

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s’ils en ont, c’est celui de n’en avoir aucun qui soit suivi, qui ne se démente point, et où ils soient reconnaissables. Ils souffrent beaucoup à être toujours les mêmes, à persévérer dans la règle ou dans le désordre ; et s’ils se délassent quelquefois d’une vertu par un autre vertu, ils se dégoûtent plus souvent d’un vice par un autre vice. Ils ont des passions contraires et des faibles qui se contredisent ; il leur coûte moins de joindre les extrémités que d’avoir une conduite dont une partie naisse de l’autre. Ennemis de la modération, ils outrent toutes choses, les bonnes et les mauvaises, dont ne pouvant ensuite supporter l’excès, ils adoucissent par le changement. Adraste était si corrompu et si libertin, qu’il lui a été moins difficile de suivre la mode et se faire dévot : il lui eût coûté davantage d’être homme de bien.

I48 (IV)

D’où vient que les mêmes hommes qui ont un flegme tout prêt pour recevoir indifféremment les plus grands désastres, s’échappent, et ont une bile intarissable sur les plus petits inconvénients ? Ce n’est pas sagesse en eux qu’une telle conduite, car la vertu est égale et ne se dément point ; c’est donc un vice, et quel autre que la vanité, qui ne se réveille et ne se recherche que dans les événements où il y a de quoi faire parler le monde, et beaucoup à gagner pour elle, mais qui se néglige sur tout le reste ?

I49 (IV)