Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/164

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manque quelque chose, et dont il n’est pas permis de rien attendre ?

(VI) Que dirai-je encore de l’esprit du jeu ? pourrait-on me le définir ? Ne faut-il ni prévoyance, ni finesse, ni habileté pour jouer l’hombre ou les échecs ? et s’il en faut, pourquoi voit-on des imbéciles qui y excellent, et de très beaux génies qui n’ont pu même atteindre la médiocrité, à qui une pièce ou une carte dans les mains trouble la vue, et fait perdre contenance ?

(VI) Il y a dans le monde quelque chose, s’il se peut, de plus incompréhensible. Un homme paraît grossier, lourd, stupide ; il ne sait pas parler, ni raconter ce qu’il vient de voir : s’il se met à écrire, c’est le modèle des bons contes ; il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle point : ce n’est que légèreté, qu’élégance, que beau naturel, et que délicatesse dans ses ouvrages.

(VI) Un autre est simple, timide, d’une ennuyeuse conversation ; il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l’argent qui lui en revient ; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture. Laissez-le s’élever par la composition : il n’est pas au-dessous d’Auguste, de Pompée, de Nicomède, d’Heraclius ; il est roi, et un grand roi ;