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Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/168

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L’on voit des hommes que le vent de la faveur pousse d’abord à pleines voiles ; ils perdent en un moment la terre de vue, et font leur route : tout leur rit, tout leur succède ; action, ouvrage, tout est comblé d’éloges et de récompenses ; ils ne se montrent que pour être embrassés et félicités. Il y a un rocher immobile qui s’élève sur une côte ; les flots se brisent au pied ; la puissance, les richesses, la violence, la flatterie, l’autorité, la faveur, tous les vents ne l’ébranlent pas : c’est le public, où ces gens échouent.

62 (I)

Il est ordinaire et comme naturel de juger du travail d’autrui seulement par rapport à celui qui nous occupe. Ainsi le poète, rempli de grandes et sublimes idées, estime peu le discours de l’orateur, qui ne s’exerce souvent que sur de simples faits ; et celui qui écrit l’histoire de son pays ne peut comprendre qu’un esprit raisonnable emploie sa vie à imaginer des fictions et à trouver une rime ; de même le bachelier plongé dans les quatre premiers siècles, traite toute autre doctrine de science triste, vaine et inutile, pendant qu’il est peut-être méprisé du géomètre.

63 (IV)

Tel a assez d’esprit pour exceller dans une certaine matière et en faire des leçons, qui en manque pour voir qu’il doit se taire sur quelque autre dont il n’a qu’une faible connaissance : il sort hardiment des limites de son génie, mais il s’égare,