Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/200

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c’est pour lui un idiome inconnu : il s’attache aux seuls pruniers, il ne vous répond pas. Ne l’entretenez pas même de vos pruniers : il n’a de l’amour que pour une certaine espèce, toute autre que vous lui nommez le fait sourire et se moquer. Il vous mène à l’arbre, cueille artistement cette prune exquise ; il l’ouvre, vous en donne une moitié, et prend l’autre : « Quelle chair ! dit-il ; goûtez-vous cela ? cela est-il divin ? voilà ce que vous ne trouverez pas ailleurs. » Et là-dessus ses narines s’enflent ; il cache avec peine sa joie et sa vanité par quelques dehors de modestie. Ô l’homme divin en effet ! homme qu’on ne peut jamais assez louer et admirer ! homme dont il sera parlé dans plusieurs siècles ! que je voie sa taille et son visage pendant qu’il vit ; que j’observe les traits et la contenance d’un homme qui seul entre les mortels possède une telle prune !

Un troisième que vous allez voir vous parle des curieux ses confrères, et surtout de Diognète. "Je l’admire, dit-il, et je le comprends moins que jamais. Pensez-vous qu’il cherche à s’instruire par des médailles, et qu’il les regarde comme des preuves parlantes de certains faits, et des monuments fixes et indubitables de l’ancienne histoire ? rien moins. Vous croyez peut-être que toute la peine qu’il se donne pour recouvrer une tête vient du plaisir qu’il se fait de ne voir pas une suite d’empereurs interrompue ?