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Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/218

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24 (VI)

Onuphre n’a pour tout lit qu’une housse de serge grise, mais il couche sur le coton et sur le duvet ; de même il est habillé simplement, mais commodément, je veux dire d’une étoffe fort légère en été, et d’une autre fort moelleuse pendant l’hiver ; il porte des chemises très déliées, qu’il a un très grand soin de bien cacher. Il ne dit point : Ma haire et ma discipline, au contraire ; il passerait pour ce qu’il est, pour un hypocrite, et il veut passer pour ce qu’il n’est pas, pour un homme dévot : il est vrai qu’il fait en sorte que l’on croit, sans qu’il le dise, qu’il porte une haire et qu’il se donne la discipline. Il y a quelques livres répandus dans sa chambre indifféremment, ouvrez-les : c’est le Combat spirituel, le Chrétien intérieur, et l’Année sainte ; d’autres livres sont sous la clef. S’il marche par la ville, et qu’il découvre de loin un homme devant qui il est nécessaire qu’il soit dévot, les yeux baissés, la démarche lente et modeste, l’air recueilli lui sont familiers : il joue son rôle. S’il entre dans une église, il observe d’abord de qui il peut être vu ; et selon la découverte qu’il vient de faire, il se met à genoux et prie, ou il ne songe ni à se mettre à genoux ni à prier. Arrive-t-il vers lui un homme de bien et d’autorité qui le verra et qui peut l’entendre,