Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/332

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et que dans cette prévention où je suis, je n’ai pas espéré que cette Compagnie pût être une autre fois plus belle à peindre, ni prise dans un jour plus favorable, et que je me suis servi de l’occasion, ai-je rien fait qui doive m’attirer les moindres reproches ? Cicéron a pu louer impunément Brutus, César, Pompée, Marcellus, qui étaient vivants, qui étaient présents : il les a loués plusieurs fois ; il les a loués seuls dans le sénat, souvent en présence de leurs ennemis, toujours devant une compagnie jalouse de leur mérite, et qui avait bien d’autres délicatesses de politique sur la vertu des grands hommes que n’en saurait avoir l’Académie française. J’ai loué les académiciens, je les ai loués tous, et ce n’a pas été impunément : que me serait-il arrivé si je les avais blâmés tous ?

Je viens d’entendre, a dit Théobalde, une grande vilaine harangue qui m’a fait bâiller vingt fois, et qui m’a ennuyé à la mort. Voilà ce qu’il a dit, et voilà ensuite ce qu’il a fait, lui et peu d’autres qui ont cru devoir entrer dans les mêmes intérêts. Ils partirent pour la cour le lendemain de la prononciation de ma harangue ; ils allèrent de maisons en maisons ; ils dirent aux personnes auprès de qui ils ont accès que je leur avais balbutié la veille un discours où il n’y avait ni style ni sens commun, qui était