Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/80

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aussi ne parle-t-il guère conséquemment et avec suite : où il dit non, souvent il faut dire oui, et où il dit oui, croyez qu’il veut dire non ; il a, en vous répondant si juste, les yeux fort ouverts, mais il ne s’en sert point : il ne regarde ni vous ni personne, ni rien qui soit au monde. Tout ce que vous pouvez tirer de lui, et encore dans le temps qu’il est le plus appliqué et d’un meilleur commerce, ce sont ces mots : Oui vraiment ; C’est vrai ; Bon ! Tout de bon ? Oui-da ! Je pense qu’oui ; Assurément ; Ah ! ciel ! et quelques autres monosyllabes qui ne sont pas même placés à propos. Jamais aussi il n’est avec ceux avec qui il paraît être : il appelle sérieusement son laquais Monsieur ; et son ami, il l’appelle la Verdure ; il dit Votre Révérence à un prince du sang, et Votre Altesse à un jésuite. Il entend la messe : le prêtre vient à éternuer ; il lui dit : Dieu vous assiste ! Il se trouve avec un magistrat : cet homme, grave par son caractère, vénérable par son âge et par sa dignité, l’interroge sur un événement et lui demande si cela est ainsi ; Ménalque lui répond : Oui, Mademoiselle. Il revient une fois de la campagne : ses laquais en livrées entreprennent de le voler et y réussissent ; ils descendent de son carrosse, lui portent un bout de flambeau sous la gorge, lui demandent la bourse, et il la rend. Arrivé chez soi, il raconte son aventure à ses amis, qui ne manquent pas de l’interroger sur les circonstances,