Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/102

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❡ Si une femme pouvait dire à son confesseur, avec ses autres faiblesses, celles qu’elle a pour son directeur et le temps qu’elle perd dans son entretien, peut-être lui serait-il donné pour pénitence d’y renoncer.

❡ Je voudrais qu’il me fût permis de crier de toute ma force à ces hommes saints qui ont été autrefois blessés des femmes : « Fuyez les femmes, ne les dirigez point : laissez à d’autres le soin de leur salut. »

❡ C’est trop contre un mari d’être coquette et dévote : une femme devrait opter.

❡ J’ai différé à le dire, et j’en ai souffert, mais enfin il m’échappe, et j’espère même que ma franchise sera utile à celles qui, n’ayant pas assez d’un confesseur pour leur conduite, n’usent d’aucun discernement dans le choix de leurs directeurs. Je ne sors pas d’admiration et d’étonnement à la vue de certains personnages que je ne nomme point ; j’ouvre de fort grands yeux sur eux, je les contemple : ils parlent, je prête l’oreille ; je m’informe, on me dit des faits, je les recueille, et je ne comprends pas comment des gens en qui je crois voir toutes choses diamétralement opposées au bon esprit, au sens droit, à l’expérience des affaires du monde, à la connaissance de l’homme, à la science de la religion et des mœurs, présument que Dieu doive renouveler en nos jours la merveille de l’apostolat, et faire un miracle en leurs personnes, en les rendant capables, tout simples et petits esprits qu’ils sont, du ministère des âmes, celui de tous le plus délicat et le plus sublime ; et si au contraire ils se croient nés pour un emploi si relevé, si difficile et accordé à si peu de personnes, et qu’ils se persuadent de ne faire en cela qu’exercer leurs talents naturels et suivre une vocation ordinaire, je le comprends encore moins.

Je vois bien que le goût qu’il y a à devenir le dépositaire du secret des familles, à se rendre nécessaire pour les réconciliations, à procurer des commissions ou à placer des domestiques, à trouver toutes les portes ouvertes dans les maisons des grands, à manger souvent à de bonnes tables, à se promener en carrosse dans une grande ville, et à faire de délicieuses retraites à la campagne, à voir plusieurs personnes de nom et de distinction s’intéresser à sa vie et à sa santé, et à ménager pour les autres et pour soi-même